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Elle laissa aller ensuite cette main amie, et, se penchant sur le lit de son fils, elle l’embrassa tendrement.

— Continuez, dit-elle. De quoi s’agit-il ?

— Je vais vous rapporter les propres paroles de celui qui s’intéresse tant à vous. Notez-le bien, Lucile, c’est à moi que ces paroles ont été adressées ; je ne suis ici qu’un écho fidèle. Écoutez-moi comme si vous entendiez votre sauveur lui-même.

Lucile lui prêtait une attention religieuse.

— Lucile Gauthier, m’a-t-on dit, est une enfant des grèves bretonnes. Élevée sur les bords de l’Océan armoricain, sa vue s’est accoutumée de bonne heure à contempler les grands horizons. Dès sa plus tendre enfance, elle respirait les acres senteurs, les rudes saveurs de la mer. C’est ce qui la mine, ce qui la tuerait, si l’on ne remédiait rapidement à cette nostalgie de l’Océan.

La jeune femme suivait avec stupéfaction la parole claire de M. Lenoir.

Son ancienne vie lui apparaissait subitement ; elle se revoyait enfant, courant dans le sable mouillé ; jeune fille, aidant les pêcheurs par les gros temps. Elle voyait défiler devant ses yeux éblouis par les miroitements du passé toutes ses joies et ses douleurs d’enfant et de jeune fille.

Puis une espérance pointait pour elle à l’horizon de son avenir.

Elle attendait haletante ce que M. Lenoir allait lui dire encore.

M. Lenoir reprit :

— On ajoutait : Aujourd’hui, la pauvre enfant, reléguée à Paris, dans une chambre étouffée, vivant seule avec son enfant, qui lui fait négliger le soin de sa propre santé, renfermée comme une plante exotique dans une serre chaude, se sent décliner de jour en jour. Elle souffre, et sans le vouloir elle fait souffrir la créature innocente, sa seule affection, son seul souci sur la terre.

— Mon enfant !… Vous dites, monsieur, que mon fils…

— Pardon… je ne dis rien… On dit…

— Oui, oui… Je suis si troublée rien qu’à l’idée que cette chère créature peut se ressentir de mes douleurs…

— Tout cela est-il vrai ? demanda le mandataire de ce protecteur inconnu.

— J’en conviens, répondit Lucile avec une expression désespérée… J’essayerais vainement de vous donner le change.

— Je ne vous demande que de la franchise.

— J’en aurai.

— Il nous faut combattre le mal qui vous mine.

— Ce mal est-il donc sans remède, selon vous ?

— Laissez-nous tenter de le guérir.

— Vous ne le pourrez pas.

— Qui sait ?

— Oh ! s’écria Lucile dans un état exalté touchant presque à l’hallucination, si je pouvais revoir la Bretagne.

— Attendez ! interrompit M. Lenoir.

Elle ne l’entendait plus.

Elle continua :

— Si je respirais les brises du large, si j’étais libre de courir avec lui —