Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/725

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elle montrait son fils — sur la plage déserte, en cherchant du goëmon et du varech !

— Espérez !

— Oh ! sainte Vierge d’Auray, je crois que je serais presque heureuse ! je crois que je parviendrais à recommencer ma vie !

— Écoutez-moi.

Elle s’arrêta dans son élan, et étouffant un soupir de découragement :

— Parlez… Je suis folle… Je ne vous interromprai plus.

— Ne vous ai-je pas dit : Qui sait ?

— Eh bien ! fit-elle avec une lueur d’espérance dans le regard.

— Vous êtes une forte nature, n’est-ce pas ?

— J’ai supporté bien des privations, des fatigues, des malheurs inouïs… et je ne suis pas morte !

— Avec vous les ménagements sont superflus ?

— La destinée ne m’a pas ménagée, vous le savez, répliqua-t-elle amèrement.

— On peut aller droit au but ?

— Oui, répondit-elle fiévreusement, je suis prête à tout entendre.

— Alors…

Elle l’arrêta une dernière fois et lui dit :

— Mais, prenez-y garde, mon ami.

— Dites.

— Je commence, malgré moi, à sentir un espoir inconnu se glisser dans mon âme. Que puis-je espérer ? Je l’ignore, je le cherche et ne le trouve pas. Mais vos encouragements, vos préparations m’entr’ouvrent la porte bénie d’une existence nouvelle…, d’un paradis que je croyais fermé pour moi.

— Mais je n’ai pas voulu…

— Prenez-y garde, répéta Lucile, dont toute l’essence nerveuse se révélait dans son langage saccadé, dans son débit rapide, avant d’aller plus loin, arrêtez-vous, il en est temps encore ! Si cet espoir indistinct prenait une forme dans vos discours pleins de promesses, et que la désillusion dût arriver ensuite, je le sens, malgré tout mon courage, malgré le désir que j’ai de vivre pour lui, ce coup serait le dernier, il me tuerait.

M. Lenoir avait laissé passer cette avalanche de sentiment et de nervosité sans essayer de l’arrêter.

Il comprenait que c’eût été un effort inutile.

Lorsqu’elle eut fini, il saisit la main de la jeune mère et lui dit d’une voix douce et sympathique :

— Eh bien ! Lucile, cet espoir peut se réaliser !

— Grand Dieu !

— Aujourd’hui même.

— Vous ne me trompez pas ?

— Dans quelques heures.

Lucile se leva tremblante.

— Tant de bonheur serait-il possible ! fit-elle d’une voix étouffée. Non. Je ne vous crois pas… C’est impossible !