Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/727

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle obéit.

Il lui montra l’acte de vente régularisé de la maison qui appartenait à son père et des sept arpents de terrain y attenant.

L’achat de la terre et de la maison avaient été faits au nom de Lucile Gautier.

Il n’y avait rien à répondre à cela.

Lucile prit le papier, le parcourut, le baisa à plusieurs reprises.

Son visage rayonnait au milieu des larmes qui l’inondaient.

Par un mouvement spontané, elle tomba à genoux devant le berceau de son enfant.

Et elle pria.

M. Lenoir essuya ses lunettes d’or.

Il se sentait en ce moment aussi heureux, sinon plus, que la pauvre mère elle-même. Il se disait :

— Ô fortune ! ô puissance sans seconde ! voilà les vrais bonheurs que tu donnes à ceux qui te possèdent ! Ô richesse que je méprisais, sois bénie ! Malheureux ceux qui te gardent enfouie dans leurs caves ou dans leurs coffres-forts ! Ils ne connaissent pas tes plus doux fruits !

Lorsqu’elle eut fini son ardente prière, la jeune femme, sans se relever, se tournant vers celui qui lui représentait la Divinité descendue sur la terre, elle lui prit la main et la lui baisa.

Le mandataire de son protecteur inconnu, voulant se soustraire aux démonstrations de cette reconnaissance, qui ne lui appartenait qu’en second, reprit vivement :

— La maison est telle que vous l’avez laissée, Lucile. Vous y trouverez les vieux meubles qui vous étaient si chers, votre chambre de jeune fille telle que vous l’avez quittée ; rien ne manque : ni la barque et ses agrès, ni les engins de pêche. Il y a un cheval dans l’écurie, deux vaches et une chèvre dans l’étable. Dans la basse-cour se trouvent des poules, des lapins, des canards… tous les animaux que vous nourrissiez et avec lesquels vous jouiez. Tout est comme autrefois, rien n’est changé. Vous étiez deux dans la maison, vous serez deux encore. Espérons que vous y vivrez plus tranquilles, plus heureux.

— Oh ! mon père ! mon père ! vous ne serez point là pour me recevoir, pour m’ouvrir vos bras en signe de pardon.

— La bénédiction qu’il n’aurait pas manqué de vous donner, Lucile, c’est votre fils qui la rapportera dans la maison, par sa seule présence.

— Vous savez guérir toutes les blessures, mon ami.

— Avec la rente qui vous a été constituée lors de votre installation dans cet appartement, ajouta M. Lenoir, vous vivrez à votre aise dans ce pays, où, vous le savez, il faut si peu pour vivre.

— Quand puis-je partir ?

— Quand il vous plaira. Vous pouvez disposer de tous les objets qui sont ici. Ils vous appartiennent. Maintenant, Lucile, acheva-t-il en se levant, ma mission est accomplie.

« Il ne me reste plus qu’à prendre congé de vous, en vous renouvelant l’assurance que votre protecteur ne cessera pas de veiller sur vous.