Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/728

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Il allait se retirer.

Lucile le retint timidement.

— Un mot encore, un seul, avant de nous séparer, pour longtemps sans doute, pour toujours peut-être !

— Que désirez-vous ?

— Un nom.

— Le nom de qui ?

Celui de ce protecteur qui veut rester inconnu.

— J’ai promis de le taire.

— Je vous supplie de me l’apprendre.

— Dans quel but ?

— Afin que je puisse le mêler au vôtre dans mes prières.

M. Lenoir hésitait.

Elle continua en le pressant, en le suppliant avec une chaleur croissante.

— Afin de l’apprendre à mon enfant en même temps que celui de Dieu.

— Vous allez me faire manquer à une promesse sérieuse.

— Par grâce ! dit la jeune femme en joignant les mains.

Elle était si touchante dans son attitude de suppliante, que le commis-voyageur ne se sentit pas la force de résister plus longuement.

— Vous le voulez absolument ? dit-il.

— Je vous en supplie à mains jointes.

— Eh bien ! Lucile, j’assume sur moi la responsabilité de l’indiscrétion que je vais commettre.

— Oh ! dites ! dites !

— Votre protecteur, votre sauveur, l’homme qui n’a cessé de vous suivre dans tout le cours de votre pénible existence, celui qui s’est révélé à vous, qui vous a tendu la main à l’heure où le désespoir vous poussait au suicide, au crime…

— C’est ?

— C’est celui que vous avez connu autrefois…

— Là-bas ?

— Oui.

— En Bretagne ?

— Oui.

— Il se nomme Noël, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Oh ! s’écria-t-elle avec ferveur, j’en étais sûre ! Mon cœur ne m’avait pas trompée.

Elle cacha sa tête dans ses mains.

M. Lenoir sortit, ne voulant pas essuyer des pleurs qui, cette fois, coulaient sans la moindre amertume.

Des pleurs rares !

Des pleurs de joie !

Il ferma derrière lui la porte de ce logis où il venait d’apporter, de ramener la lumière de l’amour, la gaieté de l’espérance, et il s’arrêta sur le seuil.