Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/738

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— Alors, ce n’est pas la peine… Nous réglerons plus tard.

— Les bons comptes font les bons amis. Réglons sur-le-champ.

— Comme vous voudrez.

« Douze francs, vin compris.

Le voyageur paya.

— Voici quinze francs, dit-il majestueusement, ne me rendez pas, le reste sera pour votre petit gars.

— Merci, compagnon, répondit le cabaretier, dont les petits yeux clignotaient du double plaisir d’avoir rempli son devoir en faisant une excellent affaire.

— Appelez-moi par mon nom, ami Guichard.

— Et votre nom est ?

— La Cigale, reprit le colosse simplement.

— Hein ! quoi ?

— La Cigale, répéta l’autre.

— Vous êtes le fameux la Cigale ?

— Fameux ! je veux bien.

— Oh ! je vous connais par cœur.

— Comment ça, vieux ?

— Frantz et Mouchette ne font que parler de vous.

— Les bavards !

— Ils vous attendent comme le Messie.

— Eh bien ! quoi ? Je serai moins long que lui à arriver. Me voilà, et toutes voiles dehors.

— Ils vont être joliment contents !

— Vous croyez ?

— J’en suis sûr. Me permettez-vous de vous offrir le café ?

— Tout de même, répondit le géant. On ne le fait pas mauvais en Normandie, avec la rincette et la surrincette, pas vrai ?

— Pardi oui.

Anthime appela sa femme.

— Tiens ! votre femme est ici ?

— Oui, faut bien.

— Et vous ne m’en parliez pas !

— Oh ! c’est si peu important.

— Pas un mot devant votre femme.

— Pour qui me prenez-vous ? Arrive ici, m’ame Guichard.

La femme du cabaretier arrivait précisément. Elle n’était pas jolie. Elle ne l’avait même jamais été. Plus jeune que le gracieux Anthime, elle paraissait avoir dix ans de plus que lui.

— Que q’vous v’lez, nout’homme ? lui demanda-t-elle, avec cet accent traînard et narquois que les femmes possèdent dans cette grasse partie de la France.

— Du café, et vivement ! la mère.

— Pour un ?

— Non, pour deux.