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La pluie tombait à torrents.

Les deux troupes disparurent dans l’obscurité.

Et peu après l’aubergiste, qui n’entendait plus le bruit de leurs pas rapides, se dirigea vers le réduit qui lui tenait lieu d’écurie, se signant dévotement et murmurant :

— Que Dieu les protège !

Puis changeant de ton :

— La soirée est bonne pour moi, ajouta-t-il en se frottant les mains. Tâchons de ne la pas mal finir. Pourvu que Mme Guichard ne vienne pas me demander ce que je vais faire en pleins champs, à cette heure et par cette eau !

Mais il fut rassuré en mettant le pied dans l’écurie.

Devant l’écurie, il y avait un mauvais hangar, servant de remise à une charrette démantibulée.

Dans la charrette, il y avait sa femme.

Et sa femme dormait d’un sommeil agité, qui sentait le cidre et l’eau-de-vie à cinq mètres à la ronde.

Pour la première fois de sa vie, maître Anthime Guichard fut enchanté d’avoir épousé une Normande qui aimait tant le cidre et qui lui vidait si souvent ses carafons d’eau-de-vie.


XVI

LE PRISONNIER

Revenons maintenant à Passe-Partout.

Nous l’avons laissé dans la grotte de la maison de Belleville, faisant bravement face aux argousins de M. Jules, et soutenant, pour assurer la retraite des siens, une lutte dont ceux-ci, dont ses adversaires eux-mêmes ne pouvaient soupçonner tout l’héroïsme.

Ainsi que nous l’avons raconté en terminant la troisième partie de cet ouvrage, les hommes de la police avaient commencé par avoir le dessous.

Furieux de la résistance qui leur était opposée, stupéfaits de voir disparaître leurs ennemis sans qu’il leur fût possible de deviner comment s’opérait cette retraite incroyable, exaspérés surtout d’avoir été si rudement battus, dès le principe, ils avaient, sur l’ordre de leur chef, tenté un dernier effort pour découvrir l’issue secrète de la grotte.

Deux Invisibles y restaient encore.

Les autres avaient regagné le souterrain.

Ces deux hommes, qui soutenaient si bravement la retraite des leurs, étaient la Cigale et Passe-Partout.

La Cigale, impassible et tranquille comme s’il se fût trouvé par un temps d’orage dans le gréement de son navire, attendait que son capitaine fût passé de la grotte dans le souterrain.

D’une main, il brandissait une hache qui lançait de fulgurants éclairs au visage de ceux de ses ennemis assez hardis pour l’approcher.