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avaient fini par se joindre à eux, avaient reçu l’ordre de le prendre vivant.

C’est ce qui expliquait comment il avait pu soutenir aussi longtemps une lutte de cette taille.

Tout à coup, aux cris de douleur, aux hurlements de rage, succéda un long cri de triomphe.

Bondissant, frappant à droite, se défendant à gauche, allant et venant à travers cette foule qui, ayant perdu de vue et de mémoire l’idée de l’épargner pour le vendre chèrement à la comtesse ou à M. Jules, ou pour lui faire payer une riche rançon, en était venue à se servir de ses armes comme si elle avait eu affaire à une nuée d’ennemis, le comte de Warrens avait trébuché sur un cadavre !

Son arme s’était brisée dans sa chute.

À cette vue, ses ennemis s’étaient précipités sur lui comme un essaim de frelons.

Il s’était vu littéralement enseveli sous eux.

La fatigue du combat, l’émotion bien naturelle de sa chute, la pensée que c’en était fait de ses rêves de fraternité, de gloire et d’amour, tout cela lui causa une réaction tellement forte qu’il s’évanouit en touchant le sol.

Quand on parvint à déblayer le monceau d’hommes, blessés, mourants, ou mis hors d’eux-mêmes par cette lutte ardente, le comte était encore sans connaissance.

Sauf quelques piqûres et quelques estafilades sans importance, il était miraculeusement sorti de la bagarre.

Il était prisonnier de guerre.

Que se passa-t-il après sa chute ?

Combien de temps demeura-t-il ainsi sans connaissance ?

Le comte de Warrens ignora toujours ces détails.

Quand il rouvrit les yeux, un rayon de soleil qui vint le frapper en plein visage, comme une flèche d’or et de feu, l’obligea à les refermer.

Tout d’abord, ne se souvenant de rien, il laissa errer un regard languissant autour de lui, un regard qui cherchait les objets familiers à son réveil.

Il ne reconnut rien, ni chambre, ni meubles.

Il voulut se lever.

Son premier mouvement lui causa une brusque et subite souffrance.

Alors, il tressaillit.

La mémoire, la conscience des faits qui s’étaient passés avant sa chute lui revenait.

Grâce à un effort énergique, il parvint à sauter à bas de son lit, où il gisait étendu, complètement vêtu.

Cela fait, il se mit en devoir d’examiner l’endroit dans lequel il se trouvait.

C’était une cellule, assez étroite, aux murs blanchis à la chaux, éclairée par une fenêtre à double grillage.

Un lit en fer, une table en bois blanc, une chaise et une table de nuit en composaient tout l’ameublement.

Sur la table, il y avait la montre du comte.

Cette montre allait et marquait onze heures.