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visité ses habits, rien n’avait pu être trouvé sur lui qui eût pu mettre sur les traces de son identité.

Son linge, assez commun, n’était pas marqué.

Le vieux portefeuille qu’il portait dans la poche de sa veste ne renfermait, que deux ou trois notes insignifiantes, quelques factures acquittées et des lettres au nom de Rifflard, ouvrier cambreur.

Il y avait aussi plusieurs quittances d’une chambre d’hôtel garni.

Avant de faire irruption dans le parc de la petite maison de Belleville, les compagnons de la Lune avaient quitté leurs costumes et s’étaient remis en bourgeois.

Le comte n’avait rien, ou du moins il ne croyait rien avoir à redouter pour ce qui concernait le secret de la Société des Invisibles.

D’autre part, il connaissait trop bien ses associés, ses affidés, ses subordonnés, pour douter une minute de leur dévouement.

Il avait la certitude que l’association tout entière, y compris le ban et l’arrière-ban des Invisibles, se soulèverait pour lui venir en aide.

Il était tranquille.

De quoi s’agissait-il donc pour lui ?

Tout simplement de se tenir sur ses gardes, de jouer serré et détacher de voir dans le jeu de ses adversaires, tout en poitrinant son propre jeu.

Ce n’était pas une bien grosse affaire pour le comte de Warrens, habitué qu’il était de longue date à lutter de ruse et d’adresse avec les plus fins limiers de la police.

Vers cinq heures du soir, un bruit de pas se fit entendre.

— Enfin ! murmura le comte.

Les pas s’arrêtèrent devant sa porte, des verrous furent tirés, une clef tourna dans la serrure, et sa porte s’ouvrit.

Le comte s’était assis, dans la pose la plus indifférente qu’il put trouver.

Par la porte entr’ouverte il aperçut les shakos bordés des gardes municipaux.

Il entendit le bruit des crosses de fusil tombant sur le sol.

Cela lui donna à réfléchir.

Il était sur le point de revenir sur sa première pensée.

On ne lui laissa pas le temps de recommencer ses pérégrinations dans le champ des repentirs ou dans le pré des espérances.

Un homme entra, portant plusieurs gamelles en fer-blanc maintenues par une courroie.

Outre cela, il apportait des assiettes, du pain, une bouteille de vin et un couvert.

C’était un homme d’âge moyen, à la figure douce et craintive ; ses manières embarrassées décelaient une grande ignorance de la vie des prisons.

Passe-Partout ne laissa pas échapper cette nuance.

Le geôlier alla droit à la table.

Après avoir silencieusement empilé les livres qui s’y trouvaient épars, et après avoir reculé le papier et l’écritoire dans le coin de la table où il venait de placer les livres, il mit le couvert du prisonnier.