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Évidemment, le porte-clefs qu’on lui avait expédié éprouvait une gêne secrète en sa présence.

Il y avait dans sa façon d’agir un parti pris de rudesse et de mutisme qui jurait avec la douceur de sa physionomie.

On avait fait la leçon à cet homme.

Au compte de Passe-Partout, le pauvre guichetier était un malheureux acteur de troisième classe, récitant péniblement un rôle étudié à la hâte et mal su.

Ce papier, ces plumes et cette encre, toutes choses dont on prive les prisonniers mis au secret ; ses poches qui n’avaient pas été vidées ; jusqu’au repas, qui ne ressemblait en rien à l’ordinaire des prisons ; tout cela faisait germer et naître dans son cerveau une foule d’idées singulières.

À jeun depuis longtemps, il venait de faire prestement disparaître le repas qu’on lui avait servi.

Il se sentait la tête alourdie.

Il s’étendit sur le lit de fer, ayant soin de placer sa bougie sur la table de nuit.

Il prit un livre au hasard et l’ouvrit.

Ce livre, touchante attention de la part des hôtes de ces lieux, était l’œuvre de Silvio Pellico, intitulée : Miei Prigioni (Mes Prisons).

Passe-Partout ne fit qu’en rire.

Il eût pourtant dû avoir plus de considération pour un chef-d’œuvre qui, malgré les beautés y contenues, ne manqua point de l’endormir au bout d’une dizaine de pages.

Disons, pour la défense du chef des Invisibles, que les fatigues écrasantes par lesquelles il avait passé tous les temps derniers, sa courte maladie, l’avaient singulièrement affaibli.

Ses yeux se fermaient malgré tous ses efforts pour resté éveillé.

Enfin le livre s’échappa de sa main. Sa tête retomba sur l’oreiller.

Sans même avoir le temps de souffler sa bougie, il s’endormit d’un profond sommeil.

Le lendemain, le soleil se chargea de nouveau du rôle de réveille-matin.

Le même rayon le mit sur pied.

Tout était dans le même état que la veille.

Il se leva et s’habilla en toute hâte.

Pourquoi ?

Sans raison, instinctivement, comme s’il eût prévu que quelque chose de grave allait lui arriver.

Il saisit sa montre, et sur le point d’y jeter les yeux, il se souvint que la veille, dans son besoin pressant de repos et de sommeil, il avait oublié de la remonter.

Ce fut un ennui.

On ne s’imagine pas comme en prison ou dans la solitude absolue les heures sont longues quand on ne peut pas les distinguer, les entendre sonner.

Machinalement, néanmoins, il regarda le cadran.

Ô surprise !

Les aiguilles marchaient.

La montre indiquait huit heures.

Il se dit :