— De plus fort en plus fort, dit Passe-Partout gaiement ; un porte-clefs qui méprise les clefs d’or… Enfin, mon ami, si je suis au secret, on va m’interroger un de ces jours ?
— C’est probable.
— Bientôt ?
— Possible !
— Vous ne le savez pas ?
— Non.
— Puis-je voir le directeur, le gouverneur de la prison ?
Passe-Partout employa ironiquement le mot gouverneur, quoique ce mot ne soit plus d’usage dans les prisons françaises.
Mais sa position lui semblait tellement peu xixe siècle, elle le ramenait tant à l’époque du For-l’Évêque et de la Bastille, que cette expression lui parut appropriée à la circonstance.
Le porte-clefs lui répondit aussi négativement à cette question qu’aux précédentes.
— Si je lui écris, lui remettrez-vous ma lettre ?
— Je ne sais pas.
— Ah ! j’aimerais mieux un non comme ceux que vous m’avez répondus avec tant de résolution.
— Eh bien ! non !
Passe-Partout regarda le porte-clefs.
Le pauvre diable baissa honteusement la tête.
Il reprit en détournant les yeux de son prisonnier :
— Votre couvert est mis.
— Merci.
— Votre dîner refroidira.
— Cela m’est égal.
— Avez-vous encore besoin de quelque chose ?
— De rien.
— Alors, bonsoir.
— Bonsoir… N’allez-vous pas revenir ?
— Pas avant demain.
— Bien. Allez, mon ami.
— Voilà votre bougie allumée. Adieu.
— Adieu !
Le porte-clefs sortit.
Il ferma la porte et la verrouilla en dehors.
Demeuré seul, Passe-Partout se mit à table.
Les mets servis devant lui étaient simples, mais accommodés avec soin. Il avait faim. Il mangea.
Tout en satisfaisant aux besoins de sa misérable guenille, il pensait à ce porte-clefs hors nature. Il réfléchissait.
Un soupçon avait traversé son esprit durant sa conversation avec le guichetier. Soupçon vague, sans consistance déterminée, mais qui peu à peu grandissait, grandissait, et finit par devenir une quasi certitude.