Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/772

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À l’heure ordinaire le porte-clefs entra ; il apportait le dîner.

Les hommes n’échangèrent pas un mot.

Seulement, pendant que le guichetier arrangeait le lit et mettait le couvert, le prisonnier vida le contenu de la bouteille qu’on lui apportait, jusqu’aux deux tiers, dans la bouteille empaillée…

L’autre, sans paraître s’en apercevoir cependant, le regardait faire du coin de l’œil ; puis, lorsque le comte eut fini, il ramassa les gamelles vides et sortit.

Le prisonnier expédia vite son repas.

Le moment approchait.

Il le sentait.

C’était la dernière et suprême bataille.

Il s’agissait de jouer serré, de lutter de ruse, de tromper des trompeurs.

Préparant tout pour faire croire qu’il se disposait à dormir sa grasse nuitée, il s’étendit sur le lit, ayant soin de placer sur la table un livre entr’ouvert, selon son habitude.

Puis, laissant comme il faisait toujours, la bougie allumée, il ferma les yeux et il attendit.

Si brave qu’il fût, son cœur battait.

Il allait avoir affaire à un ennemi terrible !

À l’inconnu !

Or, l’inconnu, pour les âmes les mieux trempées, est plus effrayant qu’un danger avéré, inévitable, quel qu’il soit.

Son attente ne fut pas longue.

Elle ne dura qu’une demi-heure.

Demi-heure dont il compta chaque seconde, en prenant pour pendule le mouvement précipité et pourtant si lent à son gré de son cœur.

Enfin un léger grincement se fit entendre dans la serrure.

La porte tourna sur ses gonds, huilés avec soin, et plusieurs hommes entrèrent à pas de loup.

M. de Warrens ne pouvait rien voir.

Quoiqu’il en eût fortement envie, il gardait courageusement les yeux fermés.

Mais il entendait.

Et c’était quelque chose !

Un instant la pensée lui vint de se lever et, les revolvers aux poings, de se ruer à l’improviste, à corps perdu, sur ses ennemis.

Il résista à cette pensée, à cette tentation imprudente.

Il était probable que, provisoirement, on n’en voulait point à sa vie.

Et puis, ses adversaires étaient sans doute nombreux, bien armés, eux aussi !

Sans doute aussi, leurs précautions étaient-elles bien prises ?