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XIX

LA DERNIÈRE ÉTAPE

On allait, on venait, on furetait.

On visitait tout dans la chambre.

Une voix que le comte de Warrens reconnut pour celle de son guichetier, disait craintivement entre haut et bas :

— Hum ! hum ! ce soir, le pauvre diable n’a même pas eu la force de se déshabiller complètement. Le sommeil l’a pris comme un coup de foudre. La dose était peut-être un peu trop forte. Il faudra y prendre garde.

— Pourquoi ? demanda une autre voix.

— Si on veut le garder vivant.

— Prrr ! Il n’y a pas de danger.

— Voyez comme il dort… On le croirait trépassé, si on ne savait pas ce qui en est.

— Le fait est qu’il dort, comme un troupeau de marmottes, dit un second interlocuteur.

Les braves gens ne se gênaient plus.

Ils causaient entre eux aussi haut que cela leur passait par la tête, se croyant certains de ne pas être entendus par le prisonnier.

Celui-ci ne perdait pas un mot de leur entretien.

— Je ne l’ai jamais vu ainsi, reprit le guichetier.

— C’est vrai.

— À coup sûr on a triplé la dose aujourd’hui.

— Tiens-tu à le savoir ?

— Moi ? ma foi non. Qu’est-ce que cela me fait, après tout ?

— À la bonne heure ! Eh bien ! tu le sauras alors. Oui, le bonhomme a bu du sommeil pour une vingtaine d’heures.

— Hein ?

— Tu ne m’entends pas ? je dis pour vingt heures.

— Vingt ?

— Au moins.

— Et pourquoi cette double ration ?

— Parce que nous sommes à la dernière étape, mon vieux…

— Après ?

— Que la trotte sera longue,

— Ah ! bien… je comprends.

— Et qu’il ne doit pas nous gêner pendant les quatorze ou quinze heures prochaines.

— Oui…, mais on risque de le faire passer de vie à trépas.

— On ne risque rien… d’abord le paroissien a l’âme chevillée dans le corps.