Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/781

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Le médecin approuvait bonnement de la tête les paroles du prisonnier.

Il continua :

— Justement inquiet de votre état, le porte-clefs m’a fait appeler. Heureusement je n’avais pas encore quitté la prison. Je suis accouru assez à temps pour vous donner les premiers soins et vous faire transporter ici.

— Merci, monsieur.

— Cette chambre est vaste, bien aérée ; la fenêtre donne sur la cour de la ferme-modèle des jeunes détenus.

— La vue sera plus gaie.

— Je l’ai pensé. Tenez-vous tranquille et tout ira bien.

— Je vous le promets.

— Adieu, monsieur. Ce soir, s’il est besoin, je reviendrai.

Le médecin sortit.

Demeurés seuls, et sûrs de n’être pas entendus, le prisonnier et le guichetier se regardèrent un instant comme deux augures de l’ancienne Rome et partirent d’un éclat de rire strident et railleur.

— Où sommes-nous, ici, mon camarade ? demanda vivement Passe-Partout dès qu’il eut repris son sang-froid.

— Je ne connais pas le pays, monsieur, répondit-il tout penaud.

— Tant pis.

— Tout ce que je puis vous garantir, c’est que nous n’avons pas plus de vingt lieues d’ici au prochain port de mer.

— Et…

— Et rien…, répondit le porte-clefs… Ah çà ! vous n’avez pas dormi, pendant votre sommeil, n’est-ce pas ?

— Certes, non.

— Alors vous en savez autant que moi. Seulement, prenez bien garde… la surveillance redouble, on fait des rondes fréquentes. Les murs ont des yeux et des oreilles.

M. de Warrens reconnut la justesse de cette observation.

Il baissa la tête silencieusement.

— Là, maintenant… fit le porte-clefs en changeant de ton et élevant la voix, voici votre déjeuner, monsieur… Mangez, buvez si le cœur vous en dit, et bon courage.

Il accentua ces deux derniers membres de phrase, de telle sorte que Passe-Partout comprit qu’il n’avait rien à redouter du repas apporté par le guichetier.

Il fit un signe de tête au porte-clefs, qui se retira sans attendre plus longtemps.

Le premier mouvement du prisonnier fut d’aller à la fenêtre.

Cette fenêtre donnait sur une cour déserte, fermée et entourée par de hautes murailles.

Ce qu’il vit ne démentait en rien le dire du pseudo-médecin.

Des murs chancelants, des toits couverts de chaume, dans la cour, des instruments de labourage épars çà et là, des charrettes reposant sur leurs limons, une infinité de poules picorant à droite et à gauche, des canards