Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/783

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pourtant, il fit une remarque qui le combla de joie.

La fenêtre, à son compte, ne devait pas se trouver à une distance de plus de quinze pieds du sol.

Le comte de Warrens passa cette journée plus agréablement que toutes les précédentes.

Tout sert de diversion à un prisonnier.

De même qu’un enfant, un rien l’amuse, l’intéresse, ne faut-il pas qu’il tue le temps d’une façon ou d’une autre ?

Le principale, pour lui, consiste donc à tuer le temps qui s’écoule si lentement quand on souffre, et qui s’envole, hélas ! avec tant de rapidité lorsqu’on est heureux.

Le soir, le guichetier lui apporta son dîner.

— Pas d’imprudence, lui dit-il vite et bas, on vous surveille de près.

Derrière lui entra le soi-disant médecin.

Sa visite le convainquit que son malade ne courait aucun danger.

La nuit fut tranquille.

L’impatience de ne rien voir venir, de n’apercevoir aucun signe précurseur de sa libération, commençait à donner réellement la fièvre au prisonnier.

Peu à peu, cependant, il se raisonna lui-même et réussit à se calmer.

Le lendemain, le guichetier entra dans sa cellule et tout en allant et en venant dans la chambre, lui glissa ce seul mot à l’oreille :

— Attention !

Ce seul mot lui donna l’éveil.

Un nouveau danger le menaçait.

Mais lequel ?

Le guichetier avait voulu le mettre sur ses gardes.

Il y avait réussi.

Quel que fût ce danger, Passe-Partout l’attendait de pied ferme.

Cette existence monotone qu’il menait, depuis tant de longs et tristes jours, lui, l’homme du tourbillon et de la vie à grandes guides, le fatiguait, l’énervait et lui enlevait enfin presque toute son énergie et son courage.

Aussi considéra-t-il cette menace ou cet avertissement plutôt comme un bienfait que comme l’annonce d’un malheur.

L’espoir envahit son cœur. Il mit toute crainte puérile de côté.

Mieux valait cent fois pour lui une lutte mortelle, mais définitive, que cette alternative continuelle dans laquelle il se consumait depuis déjà si longtemps.

Il se redressa.

Un sourire se dessina sur ses lèvres.

Il se sentait fort et prêt.

Vers trois heures de l’après-midi, au moment où il y pensait le moins, un grand bruit qui se faisait dans la cour de la ferme vint subitement le tirer de ses méditations.

Il se leva et s’avança jusqu’à la fenêtre.

Un singulier spectacle s’offrit à sa vue.

La cour était remplie d’une foule d’individus, hommes, femmes, enfants,