Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/784

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qui couraient dans tous les sens, criant, s’invectivant et jurant à qui mieux mieux.

Les poules et les canards s’enfuyaient à tire-d’aile, au milieu de leur effarement.

Le comte chercha instinctivement la cause de tout ce tumulte.

Cette cause était tout simplement un cheval.

Ce cheval, échappé on ne savait d’où, galopait comme un furieux à travers la cour, déjouant, à force de ruades et de sauts prodigieux, les efforts de tous ses persécuteurs ou poursuivants.

On essayait vainement de l’arrêter.

Un gamin, à la mine effrontée et narquoise, faisait, en courant après la bête rebelle, plus de bruit à lui seul que tous les autres ensemble.

Il criait, trépignait, et, son bridon à la main, gesticulait bruyamment au milieu de la foule, sans paraître tenir compte le moins du monde des injures et des bourrades qui pleuvaient sur lui dru comme grêle.

M. de Warrens regarda cette scène avec assez d’indifférence.

C’était burlesque, mais voilà tout.

Tout à coup le gamin s’arrêta droit en face de la fenêtre, derrière laquelle se tenait le comte, et, relevant subitement la tête, il fixa sur le prisonnier ses yeux noirs, pétillants de malice.

Ses yeux rencontrèrent un moment, une seconde à peine, ceux de M. de Warrens dont le visage était appuyé sur les vitres.

Ce fut rapide comme la lueur d’un éclair.

Il porta un doigt à ses lèvres.

Le comte le vit.

Cela fait, le gamin, certain d’avoir été compris, se perdit dans la foule.

L’indifférence du prisonnier fit place au plus curieux intérêt.

Il allait s’élancer en avant.

Les vitres de la fenêtre cadenassée l’arrêtèrent dans son élan.

Il tressaillit.

Puis, étouffant un cri de surprise, il se retira vivement de la fenêtre, pour ne pas être aperçu de ses gardiens qui eussent pu prendre ombrage de sa curiosité, et il alla, en chancelant, tomber sur sa chaise.

L’heure de sa délivrance approchait.

Passe-Partout venait de reconnaître Mouchette !

Cette vue, à laquelle il ne s’attendait pas, lui avait donné au cœur un coup impossible à soutenir tout d’abord.

Il eût mieux supporté le choc d’une balle de pistolet.

Mouchette dans la cour de la ferme, qu’on nous pardonne cette ambitieuse comparaison, c’était pour lui la colombe de l’arche rapportant une branche d’olivier.

Mouchette, pour lui, c’était la personnification de tous les siens.

Il n’y avait plus de doute possible.

Ses amis étaient là !

À force de recherches et de dévouement, ils avaient enfin découvert la retraite où ses ennemis le séquestraient.