Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/792

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Le porte-clefs pouvait s’être ou l’avoir trahi. La situation était terrible pour lui.

Le moindre indice suffisait pour mettre la comtesse sur la piste de ses libérateurs.

Malgré lui, il tremblait d’inquiétude au fond de son âme.

Mais rien ne paraissait sur sa physionomie, masque de marbre sur lequel les émotions venaient se briser comme se brise et s’enfuit la vague mugissante qui vient frapper le pied d’un rocher centenaire.

— Elle ment ! se dit-il à part lui, elle ment. Attendons encore.

Elle reprit :

— Il dépend absolument de vous, monsieur le comte, dit-elle d’une voix insinuante, de reconquérir votre liberté à l’instant même.

— Je l’ai toujours pensé ainsi, madame la comtesse.

La créole frappa du pied avec un commencement de colère indomptable.

— Assez de plaisanteries ! On ne recule pas quand on agit comme j’ai agi, vous devriez le comprendre. Répondez-moi sérieusement.

— Comtesse.., faites vos conditions… et tenez-le pour certain… si ces conditions sont possibles, je veux dire acceptables, j’y souscris aussitôt des deux mains.

— Donnez-moi votre parole d’honneur…

— C’est quelque chose, vous le savez.

— Donnez-moi votre parole.., toute promesse est sacrée pour vous, je le sais… et quelle qu’elle soit, vous la tenez… Donc, vous sortirez librement de…

— De cette prison modèle.

— Oui, de cette prison.

— Voyons vos conditions. Et d’abord, combien comptez-vous m’en dicter ?

— Deux. Ce n’est pas trop, je suppose.

— C’est assez, si elles sont acceptables.., trop, si vous voulez me les faire impossibles. La première ?

— Vous me remettrez le papier que M. le comte de Casa-Real…

— Votre pauvre mari !

— Mon mari, vous a confié quelques instants avant sa mort.

— Je m’attendais à cette demande.

— Vous semble-t-elle acceptable ?

Quien sabe ? — qui sait ? — comme disent vos compatriotes… Cependant permettez, madame ; supposons que je consente à manquer au serment fait à M. le comte de Casa-Real, je ne peux vous donner ce papier séance tenante, ne l’ayant pas sur moi :

— Je ne vous le demande pas à l’instant… Je ne vous demande que votre parole de me le faire tenir.

— Passons à la seconde condition, s’il vous plaît, comtesse.

— La voici.

— J’écoute.

— Vous me rendrez ma fille.

Le comte baissa la tête avec découragement.