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Chacun d’eux portait à sa ceinture deux revolvers à six coups, une hache d’abordage et de plus un bâton de longueur, cette arme si redoutable entre les mains de nos marins.

Ils pouvaient facilement tenir tête à une troupe du double plus nombreuse que la leur.

La ferme qu’ils se proposaient d’attaquer n’était éloignée de l’auberge de la Limace que d’une demi-lieue au plus.

Mais, pour l’atteindre, il leur fallait sauter des fossés, marcher à travers champs, franchir des ruisseaux, escalader des haies, toutes choses difficiles pendant le jour, en plein soleil, mais quasi impossibles au milieu d’une nuit sans lune, par une pluie battante et un vent de mer qui soufflait de manière à décorner les bœufs.

Malgré leur courage, leur force, leur adresse et leur invincible volonté, il leur fallut près d’une heure pour franchir les deux tiers du chemin qu’ils avaient à parcourir.

On apercevait de loin, comme de pâles étoiles, quelques lumières tremblotantes briller derrière les fenêtres de la ferme.

Les Compagnons de la Lune firent halte.

On prit les dernières mesures.

Quatre hommes, commandés par la Cigale et guidés par Mouchette, se détachèrent alors en éclaireurs, pour reconnaître les abords de la ferme.

L’absence des éclaireurs fut longue, elle dura plus de vingt minutes.

Enfin, ils rejoignirent le gros de la troupe.

Ils étaient allés jusqu’au pied des murs de la ferme.

Rien n’avait bougé.

Tout était silencieux et morne.

Le géant ramenait avec lui le fils de l’aubergiste de la Limace ; le petit gars, futé comme un vrai Normand, qu’il était, avait, nous le savons, été laissé précédemment en observation par maître Mouchette.

L’enfant, monté sur un énorme pommier qui se trouvait à vingt pas de la porte charretière de la ferme, s’était tenu coi au milieu des branches et des feuilles.

Ce n’était qu’en entendant le bruit des pas étouffés des marins, qu’il avait dégringolé tout le long de son arbre.

Aussitôt sur ses pieds, il s’était précipité à leur rencontre.

La Cigale le présenta au vicomte René de Luz.

— Eh bien ! mon enfant, lui dit celui-ci, as-tu vu quelque chose pendant ta faction ?

— Oui-da, monsieur, répondit d’un air malin le petit gars, tout en tordant ses habits traversés par la pluie.

— Parle, qu’as-tu vu ?

— Un peu avant la tombée de la nuit, la pluie tombait si dru que c’était une vraie bénédiction, quoi !

— Eh bien ?

— La porte de la ferme s’est ouverte… et trois cavaliers sont sortis.

— Les as-tu vus ? les as-tu reconnus ?