Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/800

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— Ni vus ni reconnus !

— Alors, qu’as-tu fait ?

— J’ai écouté.

— Et ?…

— Ils étaient tous les trois enveloppés dans de grands manteaux, avec des chapeaux qui cachaient leurs visages, et ils ne parlaient pas chrétien.

— Comment ! pas chrétien ?

— Je veux dire, monsieur, continua le petit gars en haussant dédaigneusement les épaules, que ces gens-là causaient entre eux dans une espèce de charabia, leur patois pour sûr. Je n’y comprenais rin, mais rin de rin.

— De quel côté ont-ils tourné, le sais-tu ?

— Oui.

— Par où ont-ils pris ?

— Par le chemin du Havre.

— N’as-tu pas vu autre chose ?

— Si fait bien, monsieur… que j’en ai vu une autre… à laquelle, même pour sûr, que je n’ai rien compris non plus.

— Conte-la-moi…, fit le vicomte, que le babil de l’enfant amusait.

— V’là ce qui est arrivé… Il y a trois quarts d’heure à peu près, deux hommes, un grand et un petit, sont sortis de la ferme.

— Comment sont-ils sortis ?

— Ah ! je ne sais pas. Je regardais la porte on ne l’a pas ouverte.

— Comment as-tu découvert qu’ils venaient de la ferme ?

— Parce qu’ils l’ont dit, donc.

— Tu les as donc compris, ceux-là ?

— Oui, que je les ai compris, ceux-là, ils parlaient français comme vous et moi ; ce n’était pas malin. Pour lors, il ont dévalé de la ferme en courant, et ils sont venus juste sous mon arbre, en v’là une chance ! pour s’abriter un brin… La pluie tombait plus fort qu’à c’t’ heure.

— Et ils ont causé ?

— À voix basse, mais j’ai de bonnes oreilles, et puis il n’y avait pas de soin, ils ne se méfiaient pas de moi, les pauvres gars… Paraîtrait qu’ils se sont ensauvés de la ferme…, même que le plus grand disait au plus petit :

« — Nous en voilà dehors, gagnons au pied, et arrivons au Havre. Là nous n’aurons plus rien à craindre.

— Va toujours, petit, dit le vicomte à l’enfant, qui hésitait.

— Je cherche, répondit le fils d’Anthime Guichard… Je ne veux rien laisser en route… Ah ! voilà : Le plus petit des deux hommes était triste, triste ! sa voix pleurait, quoi ; il était fâché de s’en sauver… L’autre le consolait, l’encourageait. « Je n’aurais pas dû l’abandonner avant la fin, » qu’il disait…

« Et le plus grand lui répondait :

« — En restant, vous nous perdiez tous les deux et vous gêniez peut-être sa délivrance, à lui. Grâce à vous, il est maintenant sur ses gardes, il a des armes ; vous ne pouviez rien faire de plus. La comtesse avait des soupçons sur moi, je ne pouvais vous cacher plus longtemps… Et si elle vous avait retenue pri-