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lopper tous dans un coup de filet immense, nous livrer et ruiner une grande partie de nos projets.

« Cet espion, suivi par un des nôtres depuis la frontière d’Espagne, est arrivé à minuit et quart à Paris. À minuit et demi, justice était faite !

« Nous sommes donc encore une fois hors de péril.

« Mais le but de notre réunion ne sera pas atteint, puisque celui qui devait nous apporter certains renseignements indispensables ne peut venir. À quatre heures sonnantes, notre chef devait faire son entrée dans cette salle. C’est l’heure, et, vous le voyez, sa place est vide parmi nous.

En effet, quatre heures Sonnaient.

Tous les regards des initiés s’étaient tournés vers la pendule ; leurs yeux, étincelants à travers les trous de leurs masques, se fixèrent sur le cadran.

Chaque vibration du timbre avait un écho sinistre dans la poitrine de ces hommes si douloureusement affectés.

À peine la dernière vibration venait-elle de s’éteindre, que trois coups secs, espacés, résonnèrent contre la cloison à laquelle le président tournait le dos.

Un frisson de surprise, un sentiment d’effroi courut dans l’assemblée.

— Qu’est ceci ? fit le président, serait-ce une trahison nouvelle ?

Trois coups, frappés une seconde fois contre la même cloison, lui répondirent.

Puis un léger craquement se fit entendre : une partie de la cloison, se détachant, glissa silencieusement dans une rainure, et dans l’espace resté libre, sur le seuil de cette porte improvisée, apparut un domino noir, dont les yeux, brillant comme des charbons ardents à travers les trous de son masque, forcèrent tous les assistants à s’incliner et à baisser la tête.

L’inconnu fit deux pas en avant.

Derrière lui la cloison reprit sa place.

— Il est quatre heures. Me voici ! dit-il en s’avançant jusqu’au milieu du salon, tout auprès du président.

Il demeura immobile, la tête haute et les bras croisés.

Les affiliés semblaient frappés de stupeur.

Il y avait tant de dignité, tant de hauteur dans le peu de mots prononcés par le domino noir, que pas un d’entre eux ne songea à se révolter.

Seul, le président alla vers lui et, étendant la main comme pour le saisir, s’écria :

— Avant tout, il faut…

L’autre l’interrompit avec l’autorité d’un maître qui parle à son élève.

— J’étais là !… j’ai tout entendu ! Et du doigt il désignait la partie de la cloison qui lui avait livré passage. Mon cœur a tressailli d’aise au discours généreux qui a été prononcé dans cette enceinte. Une cause possédant des adeptes comme vous, messieurs, est certaine du succès.

— Mais… répliqua le président…

— Silence ! fit le domino noir avec un geste d’une majesté suprême, moi seul j’ai le droit et le pouvoir de parler ici. Tous, vous devez vous taire en ma présence. Ne me répondez que si je vous interroge.