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Leur courage intéressé les abandonna.

Ils reculèrent alors, cherchant instinctivement une issue pour échapper enfin à leurs terribles adversaires.

Mais ceux-ci les suivaient pas à pas.

Ils fermaient toutes les issues.

Enfin, à bout de forces, acculés à la muraille, les bandits jetèrent leurs armes et demandèrent quartier.

Sur un geste de Passe-Partout, aussitôt le combat cessa.

Toutes les armes des bandits vaincus furent ramassées par les Compagnons de la Lune, et jetées dans le puits de la ferme.

Puis les séides de la comtesse de Casa-Real solidement garrottés et bâillonnés avec soin, furent étendus ou plutôt jetés pêle-mêle dans les granges et enfermés.

Ces précautions indispensables prises, la retraite commença.

Grâce à leur ordonnance bien suivie, les Compagnons de la Lune ne perdirent qu’un seul homme ; ils en eurent deux blessés légèrement, sans compter Mouchette qui avait reçu un coup de crosse de pistolet sur la tête ; tandis que les défenseurs de la ferme avaient, au contraire, perdu près de la moitié de leur monde.

Le matelot de la troupe de la Cigale tué, les deux blessés et Mouchette, le contusionné, furent emportés, avec tous les égards dus à leur situation douloureuse.

Les deux blessés se laissaient porter silencieusement par leurs camarades, mais le gamin de Paris, que la Cigale surveillait comme un père, au lieu d’imiter leur résignation, gigotait, vociférait, voulait qu’on le mît sur pied, jurant qu’il allait mordre ses porteurs, si on ne lui rendait pas l’usage de ses jambes.

On avait beau lui répéter à chaque instant que les blessures à la tête étaient parfois des plus dangereuses.

— À la tête des autres… oui…, répondit-il, le nez au vent, et essuyant les gouttelettes de sang qui lui coulaient sur le front… Mais ma tête, à moi, se moque bien de ça… elle en a vu bien d’autres… Voyons, laissez-moi tranquille, ne me portez plus comme une femme enceinte… Laissez-moi descendre ou je fais un malheur.

Il fallut le descendre.

La Cigale lui offrit son bras.

Mouchette refusa fièrement, haussa les épaules et fit la roue, opération gracieuse qui, pour le gymnaste, consiste à appuyer ses deux mains à plat par terre, et à imprimer un mouvement de rotation à son corps.

La Cigale le gronda doucement et le prit dans ses bras.

Mouchette, un peu étourdi par son imprudence et par sa bravade, se laissa faire, chantant de sa voix la plus fausse :

Do ! do ! Je fais dodo.
Mouchett’dormira, tantôt.