Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/819

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— Répondez franchement, Martial.

— Oui.

— Croyez-vous donc quitter la France pour longtemps ?

— Je l’ignore.

— Noël l’ignore-t-il aussi ?

— Sans doute. Il n’est pas maître des événements.

— Et vous allez ?…

— En Amérique.

— Dans quelle partie de l’Amérique ?

— Probablement en Californie.

— Qu’est-ce que ce pays-là ? demanda-t-elle étonnée.

— Un pays presque inconnu aujourd’hui, mais qui dans quelques mois sera la terre promise de tous les ambitieux.

— Est-ce un long voyage ?

— Trois mois au moins pour y aller avec un bon vent.

— Dans quel but vous rendez-vous en Californie ?

— Ne me demandez pas cela.

— Pourquoi ?

— Parce que je ne pourrais pas vous répondre, ma chère Edmée.

— Vous le savez pourtant.

— Oui, je le sais mon enfant, mais ce secret ne m’appartient pas.

— Il suffit. Je le devinerai, dit Mlle de l’Estang en souriant.

— J’en doute.

— Je suis femme, Martial.

— C’est vrai… en vous voyant sous ce costume, je vous avoue que je l’avais presque oublié, chère Edmée.

La jeune fille rougit légèrement du reproche discret que le colonel Martial Renaud lui adressait si finement, mais elle se remit et forte de ses bonnes intentions et de sa conscience, elle continua son interrogatoire.

— Sur quel navire comptez-vous partir, mon cher Martial ? dit-elle.

— Sur le nôtre.

— Qui se nomme ?

— L’Éclaireur.

— Quelle espèce de bâtiment est-ce ?

— Un brick.

— Il est au Havre ?

— Depuis un mois il est sur rade.

Il y eut un instant de silence.

La jeune fille était très visiblement embarrassée.

Cet entretien à phrases hachées l’agaçait horriblement. Le colonel, de son côté, souriait en dessous en la regardant.

Évidemment Edmée, suivant le précepte du sage, tournait et retournait avec le plus grand soin ses paroles avant que de les dire ; elle avait un but secret ou un désir, mais, quel qu’il fût, elle n’osait l’exprimer.

Ce devait être bien difficile à avouer.

Le colonel Martial Renaud eut pitié de la jeune fille.