Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/824

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— Que dira-t-il, lui ?

— Il ne le saura pas, fit Edmée en le câlinant de son mieux.

— Si.

— Eh bien !… Je le suppose… mettons la chose au pis… Il le saura… Après ? Voyons, là… Croyez-vous au fond du cœur qu’il vous en voudra beaucoup, Martial, à votre tour, répondez-moi franchement.

— Mais… vos parents ?

— Oh ! quant à eux… ils ne se douteront de rien.

— Cependant, cette fuite ?…

— Je n’ai pas fui.

— Comment ?

— J’ai demandé à mon père l’autorisation de me retirer pendant quelques mois au couvent du Sacré-Cœur.

— Ah !

— Vous connaissez les sentiments religieux de ma famille… Ma demande m’a été accordée sur l’heure.

— Eh bien ?

— Eh bien ! je suis allée au Sacré-Cœur ; mais deux jours plus tard, j’ai écrit à mon père que je ne m’y trouvais pas bien et que je préférais, si cela ne lui déplaisait pas, me rendre dans le couvent où j’ai été élevée.

— Aux environs de Dinan ?

— Oui, mon ami.

— Et votre père y a consenti ?

— Sur-le-champ. Les motifs que je lui ai donnés et qu’il est inutile que je vous dise, l’ont convaincu, de telle sorte qu’il m’a chaleureusement félicitée de ma détermination, et de plus, il m’a autorisée à demeurer dans ce couvent aussi longtemps que je le voudrais…

— À quelle condition ?

— À la seule condition de lui écrire une fois tous les mois et de le prévenir quelques jours à l’avance de mon retour.

— Et cette promesse, ma chère Edmée, comment la tiendrez-vous ?

— Oh ! bien facilement, Martial ; la supérieure du couvent m’a presque vue naître, vous le savez. Elle m’aime beaucoup… Je lui ai tout avoué… Nous avons pleuré ensemble.

— Bonne femme… mais…

— Pas de mais, dit Edmée.

— Vous êtes allée à Dinan ?

— Il le fallait bien.

Le colonel la regarda avec étonnement.

Tant d’activité, de décision, d’ardeur irrésistible dans un corps si-frêle et si délicat, le pénétraient d’admiration.

— Continuez, mon enfant, reprit-il en la regardant d’un air pensif.

— La lutte a été vive !… je suis restée bien longtemps à prier et à pleurer avant de la persuader et d’obtenir qu’elle consentît à me servir.

— Cela se comprend.

— Enfin ! cette bonne supérieure qui est une mère pour moi, s’est laissé