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Le gouverneur pour le Mexique, le señor Alvarado, résidant alors à Monterey, capitale de la Californie, accorda à M. Sutter une concession gratuite de onze sitios ou parcs de grand bétail, c’est-à-dire de onze lieues carrées à prendre à son gré et dans le lieu qui lui paraîtrait le plus convenable.

Afin de ne pas avoir de voisins, singulière prétention et qui devait plus tard être si étrangement mise à néant, M. Sutter, après de longues recherches, finit par choisir enfin le terrain qui lui était concédé sur la rive gauche du rio Sacramento, entre la rivière Sans Nom et la Fourche de la Plume.

La Fourche américaine coule entre ces deux rivières et arrose les prairies.

La Nouvelle-Helvétie, nom que M. Sutter, en souvenir de sa patrie sans doute, voulut donner à son établissement, était située à deux milles à l’est du fleuve et à un mille au sud de la Fourche américaine.

L’ancien capitaine de la garde royale française, de cet établissement, fonda alors non pas une plantation, mais bien une ville en miniature, et qui plus est, une véritable place forte.

Du reste, voici la description exacte.

Dans l’espace compris entre le débarcadère et les bâtiments se trouvait une belle prairie ombragée de grands chênes.

Le fort de la Nouvelle-Helvétie s’adossait, au nord, à un petit ruisseau dont les bords escarpés concouraient à sa défense.

L’enceinte en était fermée par un mur de cinq pieds d’épaisseur, construit en adobas et soutenu par d’énormes pièces de bois.

Chaque face du quadrilatère présentait un développement de cent mètres.

Les angles, flanqués de bastions, avaient deux étages.

Les quatre pans étaient percés de nombreuses embrasures.

Une galerie extérieure couronnait toute la muraille.

L’armement du fort était réellement formidable ; il se composait de seize canons courts, et caronades en fer de divers calibres, achetés à bord de différents navires marchands ou autres, et de deux excellentes pièces de campagne en bronze, avec caissons, que les Russes avaient consenti à céder au capitaine.

Ce dernier possédait en outre assez de fusils à baïonnettes et de rifles pour armer quatre-vingts hommes, sans compter les pistolets et les armes blanches, telles que sabres, haches, poignards, lances et coutelas.

Il ne faut pas s’imaginer que cet établissement se fit facilement et surtout pacifiquement, bien au contraire.

Les Indiens bravos ou chasseurs, inquiets à juste titre du voisinage des blancs qu’ils détestent, avaient, à plusieurs reprises, essayé de déloger les nouveaux venus et même deux ou trois fois d’assassiner leur chef.

Ce ne fut qu’à la suite de sanglants combats et contraints par la force, qu’ils finirent par admettre la supériorité des étrangers, et par comprendre que décidément il leur serait plus avantageux de vivre en paix avec eux.

Il y avait alors à la Nouvelle-Helvétie même, engagés, aux îles Sandwich ou sur les baleiniers qui fréquentaient la baie, par le capitaine Sutter, trente hommes blancs, Allemands, Suisses, Canadiens, Américains des États-Unis,