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colonie qui, grâce à l’énergique direction du capitaine Sutter, était en voie de promptement prospérer, quelques jours à peine avant le grand événement qui allait non seulement changer la face de ce coin de terre presque inconnu, mais aussi avoir un retentissement immense dans le monde entier.

Nous dirons quelques mots, pendant que nous sommes en train, sur la découverte de l’or californien.

Comme la plupart des faits appelés à bouleverser l’univers, cette découverte se fit non seulement simplement, mais encore de la façon la plus vulgaire.

Voici le fait.

L’authenticité ne saurait en être révoquée en doute.

D’ailleurs trop de témoignages vivants sont encore là pour la défendre.

Le capitaine Sutter avait résolu d’établir sur la Fourche américaine une scierie mécanique destinée à l’exploitation de l’une des magnifiques forêts qui entouraient alors sa plantation de la Nouvelle-Helvétie.

Il commença d’abord par explorer les bords de la rivière en compagnie d’un charpentier américain nommé James-Williams Marshall.

Après d’assez longues recherches, l’endroit qui lui parut le plus propice à ses vues étant choisi, il chargea ce charpentier de la construction de sa scierie mécanique.

Williams Marshall se mit à l’œuvre sur-le-champ avec cette ardeur fébrile qui caractérise les Américains du Nord.

Son premier soin fut, naturellement, d’établir les fondations du bâtiment projeté.

Pour cela il lui fallut premièrement détourner le cours d’eau.

Or il arriva ceci :

Lorsque le lit du ruisseau eut été à grand’peine mis à sec, James Marshall, le charpentier, fut tout étonné d’apercevoir tout à coup, dans le fond, mêlés avec le sable, plusieurs morceaux assez gros, d’une matière jaunâtre, ayant la teinte de la gomme gutte et jetant aux reflets du soleil des rayons et des éclairs métalliques.

L’ouvrier, pendant assez longtemps, regarda curieusement mais sans beaucoup s’en préoccuper, ces morceaux qu’il prit d’abord pour des éclats de pierre.

Puis il choisit seulement, par une curiosité machinale et sans aucun but bien arrêté encore, ceux qui lui parurent les plus gros, les ramassa et les emporta.

Mais, à sa grande surprise, il s’aperçut que ces morceaux étaient fort lourds ; alors, afin de les emporter plus commodément, il essaya de les briser à coups de marteau, ce à quoi il ne put pas réussir.

La pensée lui vint alors de les mettre dans le feu pour voir s’ils fondraient.

Il va sans dire que cette expérience ne lui réussit pas davantage.

Je ne sais qui a dit le premier, car cela a été souvent répété depuis avec une apparence de raison, que le Yankee sent instinctivement l’or, comme le fin limier hume, flaire, aspire le fumet du gibier qu’il n’aperçoit pas encore, mais dont il devine le voisinage.