Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/832

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La chose est, nous l’affirmons, incontestablement vraie.

Le brave ouvrier charpentier, malgré son ignorance complète, soupçonna cependant presque aussitôt l’importance de sa trouvaille : bon chien chasse de race.

Il abandonna tout ; sans hésiter et séance tenante, malgré un temps horrible, un ouragan épouvantable, il entassa ces singuliers échantillons, d’une matière inconnue, dans sa blouse de chasse qu’il jeta sur son dos et il se rendit tout courant au fort de la Nouvelle-Helvétie, résidence habituelle du capitaine Sutter.

Le capitaine ne s’y trompa point un instant, lui.

Après avoir examiné attentivement les échantillons soumis à son appréciation, il les essaya avec l’aide de l’eau régale, et il reconnut à l’instant que ce que son ignorant ouvrier prenait pour des pierres était tout simplement des pépites d’or, mais de l’or le plus fin.

Il le lui dit sur-le-champ avec la plus noble franchise.

Les deux hommes se promirent alors un secret inviolable, et, de compagnie, ils commencèrent la récolte du précieux métal.

La moisson dépassa de beaucoup toutes leurs espérances.

Il y avait de l’or partout.

Les deux associés n’avaient littéralement que la peine de se baisser pour en prendre leur charge en moins d’une heure.

Mais, ainsi que cela arrive toujours en pareilles circonstances, le soin même que prenaient le capitaine Sutter et Williams Marshall pour cacher leurs démarches, dérouter et donner le change à la curiosité, la vie mystérieuse qu’ils menaient depuis quelque temps, leurs longues absences sans causes déterminées, ne tardèrent pas à éveiller les soupçons des autres colons.

On les épia, on les suivit.

Ils furent bientôt, malgré toutes les précautions dont ils s’entouraient, pris sur le fait, et le grand secret fut découvert.

La nouvelle vola alors avec la rapidité de la foudre.

Elle fit, on ne comprend pas comment, le tour du globe en quelques mois à peine ; et une nuée d’aventuriers, venus de tous les coins du monde, s’abattit alors comme un vol de vautours sur le nouvel Eldorado.

Nous avons cru intéressant et surtout curieux de consigner ici ces faits qui ont été défigurés, et par conséquent, généralement inconnus en Europe, et de faire connaître en quelques lignes l’origine humble et modeste d’une contrée appelée, dans un avenir très prochain, nous en avons la conviction intime, à devenir non seulement le centre d’un immense mouvement commercial, mais probablement celui d’une civilisation nouvelle.

Le capitaine Sutter, le premier découvreur de l’or californien, est le seul peut-être envers lequel le sort, selon sa coutume, se soit montré ingrat ; presque ruiné, il a longtemps plaidé vainement contre les États-Unis, puis il a disparu, presque sans laisser de traces.

Était-ce donc là la récompense que cet homme énergique était en droit d’attendre de la justice des hommes !

Fermons ici cette parenthèse trop longue peut-être au gré du lecteur, mais