Le colonel Martial Renaud et le comte de San-Lucar avaient saisi leurs armes et venaient de se mettre en défense.
— Pas mal tiré, hein ? pour un coup au juger, dit le gamin de cet accent gouailleur qui lui était habituel.
— Tu l’as tué ? demanda le colonel.
— Entre le feu et l’eau. S’il en réchappe, c’est un malin, et je lui donne mon estime ; mais j’ai bien peur du contraire.
— Quel était donc cet homme ? interrogea San-Lucar.
— Une canaille ! dit nettement le gamin de Paris, qui nettoyait son arme avec tout l’amour d’une nourrice débarbouillant son nourrisson, un espion, un mouchard, quoi ! qui a mis plus d’une minute à vous coucher enjoué… J’étais trop loin… J’ai couru… Je n’ai eu que le temps d’épauler. Il a fait : Pif ! j’ai fait : Paf ! Il vous a manqué… Je l’ai touché… C’est bien fait pour lui… Bon voyage !
— Merci. J’ai senti le vent de la balle, fit Martial Renaud.
— Vous avez eu de la chance, mon colonel, car le gueux était tout près ; c’est égal, il faut avouer, entre nous, que c’était au bout du compte un fier malagauche.
— Comment es-tu ici, petit ? demanda le colonel, qui n’était pas autrement ému de cet incident désagréable.
— Je suis d’avant-garde, mon colonel ; j’éclaire la route.
— Rioban arrive ! s’écria San-Lucar.
— Il ne sera même pas long à arriver, répliqua le gamin, vu que le voici.
En effet, au même instant, le vicomte de Rioban écartait vivement les buissons et accourait auprès de ses amis.
— J’ai entendu des coups de feu ! dit-il. Vous chassiez ?
— Oui…, la chasse au mâle…, grommela Mouchette.
— C’est Mouchette qui a tiré sur un fauve ! dit San-Lucar.
— Et qui l’a manqué ! à ce qu’il me paraît, reprit Rioban.
— Je l’aurais peut-être manqué si je l’avais visé, monsieur le vicomte, riposta le gamin de Paris de son air le plus innocent, mais dame, comme je ne le visais pas, je ne l’ai pas manqué. Voilà, mon maître.
San-Lucar se mit à rire. Le colonel aussi.
Quoique de Rioban trouvât dans son for intérieur l’enfant plutôt impertinent que drôle, entraîné cependant par l’exemple, il fit gaîment chorus avec ses deux amis.
Et Mouchette sans se démonter aucunement, le salua avec grâce, pour le remercier de son rire approbatif.