Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/850

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leur faisait reconnaître, presque toujours au premier coup d’œil, les gisements aurifères les plus avantageux.

Aussi ces gambusinos émérites s’en faisaient-ils une spécialité.

Ils vendaient la révélation des nouveaux placeres qu’ils découvraient aux émigrants récemment arrivés, et qui par conséquent ne possédaient pas encore l’expérience nécessaire pour chercher l’or avec succès.

Cette existence plus que laborieuse était fort accidentée.

Cela se comprend.

Au milieu de ces solitudes inconnues, loin des bruits du monde civilisé, dans ces camps composés d’hommes étrangers les uns aux autres, et formés par le hasard, le moindre fait prenait tout de suite les proportions d’un événement grave.

Le soir venu, assis par terre devant les tentes, on causait des travaux du jour, du succès ou de l’insuccès des recherches, de l’arrivée prochaine des convois chargés de ravitailler les camps, question vitale entre toutes pour tous ces déclassés, que l’avarice, la misère et la convoitise avaient jetés dans ces déserts.

Puis on jouait.

On jouait avec frénésie.

Il fallait bien trouver un débouché à toutes ces richesses.

Des sommes folles étaient perdues en quelques minutes par des hommes qui, la veille, mouraient littéralement de faim, et que le hasard, toujours railleur, venait d’enrichir subitement en moins d’une heure peut-être.

On s’enivrait.

On dansait.

On se querellait surtout.

Le sang coulait à flots, dans ces rixes entre gens qui se jalousaient et se haïssaient, qui toujours avaient le couteau à la main, dont les mauvaises passions étaient surexcitées et qui appartenaient à toutes les nations du globe, nations toujours rivales les unes des autres.

Rien de singulier comme le spectacle de ces hommes, couverts de colifichets de toutes sortes, inondés de parfumerie par-dessus leurs haillons et leurs guenilles disparates, dont les poches regorgeaient d’or, et qui, après avoir gaspillé sans y prendre garde dans de folles orgies les mets les plus exquis, se trouvaient tout à coup exposés à mourir de faim, malgré leurs richesses, par le retard d’un convoi.

D’autres portaient des chemises de fine batiste, curieusement brodées, mais sales, noires et déchirées en maints endroits parce qu’ils ne savaient, à quelque prix que ce fût, par qui les faire laver ou raccommoder.

Jamais, dans aucun pays du monde, à aucune époque de l’histoire du monde, le luxe et la richesse n’ont été si étrangement associés avec la misère et la faim que dans les camps des mineurs californiens, lors des premiers temps de la découverte de l’or.

Rien n’étant encore organisé, aucune administration régulière n’existant à cause de l’incurie notoire de ce ramassis d’aventuriers, tout leur manquait bien souvent.