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À son retour, il apportait des vêtements, de la poudre, des balles, des médicaments, enfin toutes les choses de première nécessité, qui manquaient partout sur les placeres à cause, nous l’avons déjà dit plus haut, de l’incurie des mineurs eux-mêmes, et qui, dans le camp dont nous parlons, se trouvaient toujours en abondance.

Entrons dans ce camp.

Nous y retrouverons la plupart de nos anciennes connaissances d’Europe.

Environ vers sept heures du soir, au moment où Mouchette tirait au juger sur l’émissaire de la comtesse de Casa-Real, caché dans les buissons de l’accore du rio de la Merced, le vicomte René de Luz, vêtu d’un élégant costume de campecino californien, se tenait debout au sommet d’un monticule assez élevé, une excellente longue-vue marine à la main.

De ce monticule fait de terres rapportées et placé au milieu du camp, le jeune homme examinait attentivement la prairie dans la direction de l’est-sud-est.

Tout à coup, avec la paume de la main gauche, le jeune homme repoussa vivement les tubes de la lunette, qui s’emboîtèrent et se replièrent les uns dans les autres, et, se tournant vers un homme immobile à quelques pas de lui :

— Filoche ! cria-t-il.

— Monsieur le vicomte ? répondit aussitôt l’ancien débardeur, qui se tenait immobile au bas du monticule, les mains croisées et appuyées sur l’extrémité du canon de son rifle dont la crosse reposait à terre.

— Ton cheval est sellé ?

— Oui.

— Bien. En selle ! mon garçon.

— Où vais-je ?

— Reconnaître ce cavalier qui accourt vers nous à toute bride.

— Où cela ?

— Le vois-tu, là ? tiens ! dans la direction de mon bras ?

— Je le vois, monsieur.

— Eh bien ! va.

— Ce n’est pas la peine de se déranger pour si peu.

— Comment ! ce n’est pas la peine ! demanda René de Luz, étonné que son subordonné osât discuter ses ordres.

— Je n’ai pas besoin d’aller le reconnaître… à cheval.

— Parce que ?

— Parce que je le reconnais très bien d’ici, monsieur le vicomte.

— À cette distance ?

— Oui.

— Il est à peine visible, fit le comte avec incrédulité.

— Possible. Je le reconnais pour sûr. Pourtant, dès que vous le voulez, monsieur le vicomte, j’irai tout de même à sa rencontre, cela m’est égal, à moi.

Il fit un mouvement pour s’éloigner.

— Arrête ! lui cria René.