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Filoche obéit.

— Qui supposes-tu que soit ce cavalier si pressé de venir à nous ?

— Je ne suppose pas, monsieur le vicomte…, je suis sûr.

— Bon. J’admets l’infaillibilité de ton coup d’œil. Qui est-ce ?

— Pardi ! c’est pourtant simple.

— Qui ?

— La Cigale.

— La Cigale !

— Lui-même.

— Tu crois ?

— Je vous ai dit, monsieur le vicomte, que j’étais sûr, répondit sèchement Filoche qui commençait à se trouver offensé par cette incrédulité persistante du jeune homme, par ce doute émis à l’endroit de sa vue.

— C’est juste.

— Et tenez…

— Quoi ?

— Maintenant qu’il est plus rapproché…, il va bon train, le gaillard !

— Eh bien ?

— Regardez son cheval.

— Je le regarde.

— En avons-nous beaucoup d’aussi grands et d’aussi râblés dans le camp ?

— Mais…

— Regardez, monsieur le vicomte…, regardez… La Cigale ne porte jamais de chapeau, vous le savez, n’est-ce pas ?… Eh bien ! voyez-vous maintenant flotter les pointes du foulard qui couvre sa tête ?

— Pardieu ! mon garçon…, si ce que tu m’annonces est vrai…

— Comment ! si c’est vrai…, ça l’est…

— Tu as des yeux de lynx…

— De quoi ? demanda Filoche tout interloqué par ce mot qu’il ne comprit pas et qui lui parut hétéroclite.

— D’excellents yeux, mon ami, reprit en souriant le jeune homme.

— Oh ! pour cela, ils sont bons, monsieur le vicomte !

— Moi, je n’y vois rien du tout.

— Tenez, monsieur…, à preuve…, attendez un instant…, vous allez apercevoir la fumée… La Cigale va tirer.

En effet, un léger nuage de fumée bleuâtre monta vers le ciel.

Puis, au bout d’un instant, le bruit d’une détonation lointaine vint mourir faiblement aux oreilles du vicomte René de Luz.

Cette dernière preuve le convainquit.

— Faut-il toujours partir, monsieur le vicomte ? demanda Filoche.

— Inutile.

— D’autant plus qu’avant cinq minutes…

— Il sera ici ?

— Oui, monsieur.

Le vicomte René de Luz descendit de son observatoire.

Suivi par Filoche, qui de son autorité privée s’était constitué son garde