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M. le vicomte de Rioban, l’officier de quart ;

Le timonier, à la barre ;

Maître la Cigale, l’épaule appuyée contre le grand mât.

Et Filoche, l’ancien débardeur et actuellement le chef du mât de beaupré, fumant sa pipe, assis à l’avant sur la bitte.

Cette solitude avait été, on le comprend, organisée instantanément et à dessein par l’officier de quart, afin de laisser aux deux frères toute liberté d’épanchement.

Cependant ceux-ci marchaient lentement côte à côte.

Pas un mot.

Enfin, le colonel, fatigué sans doute de ce mutisme obstiné, prit, selon l’expression vulgaire, sa résolution à deux mains.

Il s’arrêta tout à coup et regardant son frère bien en face :

— Noël ! lui dit-il, d’une voix brève.

Le comte de Warrens tressaillit comme un homme réveillé en sursaut, releva la tête et se passant la main sur le front, avec un geste rempli de lassitude.

— Tu as parlé mon frère, demanda-t-il.

— Oui, Noël..

— Que me veux-tu ?

— Es-tu disposé à m’entendre ?

— Toujours.

— Tu me répondras ?

— Oui, certes, fit-il en lui saisissant vivement la main.

— Tu devines ce que je veux te dire ?

— Je le devine.

— Et tu consens à m’écouter.

— Je ne veux plus avoir de secret pour toi, Martial ; ne sommes-nous pas une seule âme en deux corps ?

— Merci, Noël.

— Parle. Va droit au but.

— C’est ce que je veux faire. Nos amis sont inquiets, Noël, inquiets de ton état. Je ne t’ai jamais vu te laisser abattre ainsi, et, Dieu sait pourtant, frère, les dangers que nous avons courus côte à côte, les douleurs qui nous ont atteints. Tes amis et, moi, nous voulons enfin, coûte que coûte et quoi qu’il arrive, connaître ton mal.

— Hélas ! frère, ce mal qui me ronge et causera infailliblement ma mort, le guérirez-vous ? demanda Je comte en hochant tristement la tête.

— Nous essayerons, du moins, mon cher Noël, répondit Martial Renaud.

Son frère secoua de nouveau la tête d’un air de doute.

— Vous vous trompez, et toi tout le premier ; vous ne pouvez me guérir. Ce mal n’a pas de remède, frère !

— Allons donc ! Tu es fou, reprit le colonel en haussant les épaules d’un air de mauvaise humeur, la seule maladie sans remède, c’est la mort. Et quoi que tu en dises, tu n’en es pas encore là, grâce à Dieu. Parle donc sans plus