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distance pour éloigner les bêtes fauves, et des sentinelles nombreuses veillaient à la sûreté commune.

Plusieurs fois les aventuriers, pendant cette longue course à travers le désert, eurent maille à partir avec les Peaux-Rouges, et se virent obligés de leur livrer nombre de combats acharnés, dont ils ne sortaient vainqueurs qu’après les efforts les plus désespérés et les plus intrépides traits d’audace.

Une fois entre autres, l’affaire faillit devenir grave pour les Français, ils n’étaient plus qu’à une quarantaine de lieues du placer qu’ils voulaient atteindre : c’était le soir, un peu avant le coucher du soleil, les aventuriers avaient fait halte ; ils étaient occupés à établir le campement de nuit, lorsque tout à coup un épais nuage de poussière s’éleva à l’horizon, et une troupe ou plutôt une manada, ainsi qu’on dit dans le pays, de chevaux libres et sauvages en apparence se dirigea ventre à terre vers le camp.

Le comte de Warrens et son frère avaient, depuis trop longtemps, l’habitude de la vie des prairies pour se laisser prendre à ce grossier stratagème, qu’ils devinèrent aussitôt ; ils crièrent aux armes ! et chacun, le fusil en main, s’embusqua derrière les voitures et se tint prêt à défendre chèrement sa vie.

La situation était critique.

Les chariots et les wagons n’étaient pas enchaînés encore, et les mules étaient chargées ; on les réunit en toute hâte et à grand’peine dans l’enceinte, et quelques hommes furent laissés à leur garde.

Soudain, un horrible cri de guerre retentit comme un coup de tonnerre.

Tout à coup les Indiens, couchés jusque-là sur le flanc de leurs chevaux, se redressèrent tous à la fois et s’élancèrent avec fureur sur les Français, en brandissant leurs armes au-dessus de leurs têtes.

Le premier choc fut terrible.

Cependant les aventuriers ne reculèrent pas d’une semelle ; ils attendirent froids et impassibles et sur l’ordre de leur chef tirèrent presque à bout portant.

Puis un combat à l’arme blanche s’engagea, combat affreux et sans pitié.

Les Indiens se faisaient tuer avec un courage extrême.

Eux non plus, ils ne reculaient pas.

Deux fois même ils pénétrèrent jusque dans l’enceinte du camp.

Mais tout à coup ils furent à l’improviste assaillis par derrière.

Le colonel Martial Renaud les avait tournés et se ruait sur eux, à la tête d’une cinquantaine d’hommes bien montés, en même temps que les autres aventuriers, commandés par le comte de Warrens et formés en colonne d’attaque, s’élançaient bravement à la baïonnette.

Pendant quelques minutes la mêlée fut horrible, le carnage effroyable ; la masse des combattants acharnés à s’entre-détruire oscillait à droite, à gauche, en avant, en arrière, mais sans se disjoindre.

Enfin les guerriers peaux-rouges, tous aussi braves, mais indisciplinés et moins bien armés que leurs ennemis, et de plus pris comme dans un étau par les deux troupes des blancs, commencèrent à plier, à se débander, et finalement à fuir dans toutes les directions.

Au bout de quelques minutes, cette fuite se changea en déroute complète.