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instant il n’y eut l’ombre, non pas d’une tempête, mais même d’un gros temps.

Le cap de Horn, ce terrible passage, si redouté à juste titre par tous les marins, fut franchi en quelques heures à peine.

Une belle et chaude brise de vent arrière et un éblouissant soleil en firent un jeu d’enfant pour le léger navire.

On filait rapidement.

Bientôt, on pénétra dans l’océan Pacifique, ainsi nommé on ne sait trop pourquoi, car il est prouvé que les tempêtes y sont beaucoup plus fréquentes et souvent beaucoup plus redoutables que dans l’Atlantique.

Après avoir suivi pendant quelques jours les côtes dangereuses de la Patagonie et du Chili, le brick orienta au plus près du vent, hâla les boulines et s’éleva enfin en haute mer et prit le large pour aller aborder à Monte-Rey, port de la confédération mexicaine et alors capitale de toute la Californie.

Le capitaine du brick L’Éclaireur, ou pour mieux dire le comte de Warrens, ignorait complètement ce qui se passait alors à San-Francisco.

La nouvelle de la découverte de l’or était encore toute récente et par conséquent complètement inconnue en Europe quand il l’avait quittée deux mois auparavant.

M. de Warrens, afin de faire perdre ses traces à Mme la comtesse de Casa-Real, au cas peu probable où celle-ci aurait soupçonné ses projets, avait résolu pour plus de prudence de mouiller d’abord à Monte-Rey, d’y laisser provisoirement son brick et, de là, de se rendre par terre, avec ses gens, à un placer fort riche situé dans la Sierra-Nevada dont l’existence lui avait été révélée bien longtemps auparavant par des Gambucinos, placer qu’il avait déjà fait exploiter à une certaine époque.

Ce fut à Monte-Rey que le comte entendit pour la première fois parler de la découverte de l’or.

Cependant les choses eurent lieu ainsi que cela avait été d’abord arrêté :

La plus grande partie des Compagnons de la Lune prit terre à Monte-Rey.

On organisa une caravane, et, pendant que les chercheurs d’or s’enfonçaient dans les terres, à la suite du comte de Warrens, le brick, sous le commandement de sir Harry Mortimer, n’ayant plus qu’un équipage d’une quinzaine d’hommes, remettait à la voile et se dirigeait vers San-Francisco, après avoir changé de peinture, haussé ses lisses et modifié autant que possible sa nature, afin de ne pas être reconnu.

Le voyage des chercheurs d’or fut long, pénible et hérissé de difficultés de toutes sortes.

Il dura près d’un mois et demi, à travers une contrée inculte et des forêts vierges presque impénétrables, parcourues dans tous les sens par les bêtes fauves et les Peaux-Rouges, plus féroces qu’elles encore.

Chaque soir, un peu avant le coucher du soleil, la caravane faisait halte, sur le sommet d’un monticule, dans le voisinage d’un cours d’eau.

Les wagons, disposés en croix de Saint-André, étaient solidement enchaînés les uns aux autres et formaient une enceinte de fortifications infranchissables ; les tentes dressées ; puis des feux étaient allumés de distance en