Cet homme, très jeune encore, semblait être le chef des Peaux-Rouges : ceux-ci lui témoignaient un grand respect ; du reste, la plume d’aigle fièrement plantée au milieu de sa touffe de guerre, les nombreux coups dessinés en rouges sur sa poitrine, et les queues de loup attachées à ses talons le faisaient aussitôt reconnaître par tout homme connaissant les coutumes indiennes, pour un grand brave.
Ce chef fit, pendant le combat, des prodiges de valeur ; il semblait se multiplier ; toujours à dix pas en avant de ses guerriers, trois fois il les ramena à l’attaque des blancs avec un acharnement et une rage inouïs.
Enfin, lorsque les Indiens s’avouèrent vaincus et prirent définitivement la fuite, au lieu de suivre leur exemple, le chef poussa son terrible cri de guerre d’une voix stridente, et, sans s’occuper d’être ou non suivi par les siens, levant son tomahawk au-dessus de sa tête, il se rua comme un démon au plus épais des rangs des aventuriers.
Lui et le comte Warrens se trouvèrent alors face à face.
Le capitaine fit un geste.
Aussitôt les aventuriers s’écartèrent respectueusement.
Les deux ennemis se mesurèrent un instant du regard, puis, comme d’un commun accord, ils bondirent au-devant l’un de l’autre, se prirent corps à corps et s’enlacèrent comme deux serpents.
La lutte fut longue, acharnée ; le chef indien était doué d’une vigueur et d’une adresse peu communes ; mais il avait affaire à un redoutable adversaire.
Il fut à l’improviste enlevé de terre, rudement jeté sur le sol, et, avant qu’il pût faire un mouvement pour se relever et reprendre l’offensive, il sentit le genou du comte lourdement peser sur sa poitrine.
Le jeune et brave chef indien dédaigna de continuer plus longtemps une résistance impossible et, quoique vaincu et à la merci de son adversaire il resta calme et impassible ; pas un muscle de son visage ne tressaillit, il riva son regard hautain sur celui de son vainqueur.
Celui-ci leva son poignard.
Tout à coup une main retint son bras, tandis qu’une douce voix murmurait à son oreille ce seul mot :
— Grâce !
— Vous le voulez, Edmée, répondit aussitôt le comte en jetant son poignard, que votre volonté soit faite !
— Merci, Noël ! lui dit-elle en rougissant de plaisir.
Le comte tendit la main au Peau-Rouge toujours renversé sur le sol.
— Relevez-vous, chef ! lui dit-il.
— Pourquoi le Visage-Pâle ne me tue-t-il pas ? répondit froidement l’Indien, sans profiter de la permission qui lui était donnée.
— Parce que vous êtes un grand brave, chef, et que vous ne devez pas être tué comme un chien, répondit le comte.
— Bon ! reprit-il avec un sourire hautain et en se levant lentement, mon frère pâle veut m’attacher au poteau de torture… Soit ! Il verra comment sait mourir un chef.