Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/880

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— Quoi, cela ? demanda Matadoce de son air le plus ingénu.

— Rien. Continue.

— Le capitaine sur cette assurance que je ne savais pas l’anglais, reprit-il en saluant de nouveau, consentit, sans trop de difficultés, à me prendre à bord, et à San-Francisco, comme il était sans doute content de moi, au lieu de me donner congé, comme je m’y attendais, il me proposa d’entrer à son service ; c’est là que je connus la consignation du brick, un grand négociant yankee, un nommé Master Key.

— Master-Key est la traduction littérale de Passe-Partout, dit en riant Marcos Praya à la comtesse.

— Viva Dios ! c’est vrai ! s’écria joyeusement la comtesse de Casa-Real, nous sommes bien sur la piste.

— J’ai vu l’homme, reprit le métis, et, malgré la perfection de son déguisement, je l’ai tout de suite reconnu.

— Ah ! fit la comtesse, dont un éclair de haine illumina la physionomie et lui donna une expression farouche ; cette fois, il ne m’échappera pas, je le jure. Je suis contente de toi, ajouta-t-elle en s’adressant à Matadoce ; veux-tu entrer à mon service ? Et d’abord, prends ceci.

Et elle lui donna quelques onces.

— Je le crois bien, que je veux entrer à votre service, señora, répondit le bandit ; vous êtes généreuse comme une mine d’or.

— C’est entendu, demain nous partons ; sois ici au lever du soleil ; vous, Marcos, demeurez, j’ai encore à causer avec vous.

— Va m’attendre à la posada, Diego, dit le métis.

— Oui, señor.

Le bandit salua et sortit.

Dans le vestibule, il retrouva Anita, la charmante camériste, qui l’accompagna silencieusement jusqu’à la porte de la rue, qu’elle referma sur lui.

— Ah ! fit le bandit en respirant joyeusement et à pleins poumons, dès qu’il se retrouva en plein air, voilà une bonne soirée !… Elle est charmante, cette señora, j’avais définitivement des préventions ridicules contre elle, elle est peut-être un peu brusque à la vérité, mais son service doit être très agréable…, et surtout très productif.

Sur cette réflexion pleine de justesse, le bandit s’enveloppa avec soin dans son manteau et se dirigea à grands pas vers le Rio-Tuolumne, sur le bord duquel était située la posada où il avait établi son domicile.

Après avoir traversé la place Mayor, complètement déserte à cette heure, il s’engagea dans une ruelle assez étroite, nommée le Callejon de las Viudas, qui donne juste sur la rivière, à quelques pas seulement de la posada.

Mais à peine avait-il atteint le milieu de la ruelle que deux hommes se dressèrent subitement devant lui, et deux pistolets s’appuyèrent à la fois sur sa poitrine.

— Halte ! lui dit une voix rude.

Matadoce était brave, il l’avait surabondamment prouvé : mais les Hispano-Américains sont essentiellement nerveux et redoutent surtout les surprises ;