Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/893

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fusil, six cavaliers d’avant-garde, le rifle sur la cuisse, tenaient toute la largeur du chemin.

Derrière ces cavaliers, les mules de charge complètement libres, mais surveillées par les arrieros, suivaient en trottant le grelot de la nena ou yegua madrina.

Puis, à environ une centaine de pas en arrière afin de ne pas être incommodés par les flots de la poussière soulevée par le trot des mules, venaient la comtesse Hermosa de Casa-Real, montée sur un magnifique mustang, et le métis Marcos Praya, son âme damnée.

Autour d’eux, à droite et à gauche sur les bords du chemin, seize cavaliers, le rifle droit, le doigt sur la détente, sur deux de front, surveillaient attentivement les flancs de la caravane.

Puis, à vingt-cinq pas en arrière encore, marchait une arrière-garde composée de trois cavaliers, surveillant deux lourds wagons traînés chacun par huit mules et portant tous les objets de campement et les vivres nécessités par un long voyage à travers le désert.

La comtesse de Casa-Real et Marcos Praya causaient entre eux à voix basse et, par surcroît de précaution, leur conversation avait lieu en français, langue complètement ignorée de leurs compagnons de route.

Marcos Praya faisait part à la comtesse de l’inquiétude qu’il éprouvait au sujet de la disparition subite de Matadoce, aussitôt après sa présentation à la comtesse, disparition qu’il ne savait à quoi attribuer.

Matadoce avait-il été assassiné ? Avait-il trahi ses nouveaux maîtres ?

Voilà ce que se demandait Marcos Praya sans pouvoir se répondre.

En effet, Matadoce, bandit de la pire espèce, il est vrai, mais en même temps grand calculateur, n’était pas homme à trahir, sans des motifs du plus grand poids, ceux qui le payaient bien, surtout une heure à peine après être entré à leur service : ce fait paraissait inexplicable.

Il aurait donc été assassiné ?

Mais par qui ?

Dans quel but ?

Voilà ce que le métis ne pouvait deviner, et ce qui l’inquiétait fort.

La comtesse de Casa-Real ne partageait que très médiocrement l’inquiétude de son frère de lait.

Matadoce lui semblait être en somme un homme d’une importance beaucoup trop secondaire pour qu’un ennemi, quel qu’il fût, eût voulu s’en débarrasser.

Et puis quel ennemi l’eût attaqué ?

Tout le monde, dans la ville, ignorait qu’il fût à son service, puisqu’il n’y était entré que la veille au soir même.

Sans doute, avec l’argent qu’il avait reçu, le drôle avait fait bombance et probablement fort peu scrupuleux de sa nature, il n’avait plus songé aux engagements qu’il avait pris.

Marcos Praya, en homme pratique qu’il était, hochait la tête d’un air de doute : tous ces raisonnements lui semblaient spécieux et ne le satisfaisaient