Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/895

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Depuis la sortie de Sonora, elle avait constamment suivi, les bords accidentés et ombrés de la rivière ; vers trois heures de l’après-dîner, quelques minutes après s’être remis en route, car les voyageurs, selon la coutume mexicaine, s’étaient arrêtés à onze heures du matin sous un épais bouquet d’arbres pour faire la siesta, déjeuner et laisser passer la plus grande chaleur du jour, on atteignit un gué.

La rivière faisait en cet endroit une courbe assez prononcée et barrait le chemin aux voyageurs.

Il fallait, la franchir ; heureusement que cette rivière, comme la plupart de celles du Mexique, était assez peu profonde, d’une médiocre largeur et le gué très facile.

Les chevaux entrèrent dans l’eau, sans difficulté aucune, ce bain les rafraîchissait ; mais à peine l’avant-garde eut-elle quitté le bord et fait quelques pas en avant que les six cavaliers s’arrêtèrent subitement en jetant un cri de surprise et presque d’épouvante.

Marcos Praya, dont l’esprit était constamment tenu en éveil, mit aussitôt son cheval au galop et rejoignit l’avant-garde.

Il s’informa au chef des cavaliers de la raison qui avait fait pousser ces clameurs insolites à ses compagnons.

— Regardez, caballero, répondit respectueusement un des cavaliers en étendant le bras ; tenez, là, dans, les herbes.

Le métis regarda.

Un cadavre, qui semblait n’avoir séjourné que quelques heures à peine dans l’eau, mais déjà couvert de myriades de moustiques, était arrêté au milieu des hautes herbes bordant la rive de la rivière.

Marcos Praya le reconnut aussitôt.

Ce cadavre, il n’y avait pas à s’y tromper une seconde, était bien celui de son nouvel engagé, Matadoce enfin.

Son crâne, horriblement fracassé, indiquait clairement à quel genre de mort le malheureux avait succombé.

Le doute n’était plus possible : le bandit avait été assassiné.

Le métis demeura un instant, immobile, fronça le sourcil, puis, sans prononcer une parole, il revint tout pensif reprendre son poste auprès de sa maîtresse.

— Eh bien, Marcos ! que se passe-t-il donc là-bas à l’avant-garde ? lui demanda la comtesse, vous semblez atterré ; voyons, répondez. Que se passe-t-il ? qu’y a-t-il ?

— Ce qu’il y a, señora, dit-il enfin d’une voix sourde, il y a que je ne m’étais pas trompé : voilà tout.

— Que voulez-vous dire ? Parlez clairement, Marcos.

— Je veux dire, señora, que Matadoce ne nous a pas trahis, mais qu’il est mort.

— Mort ! vous en êtes sûr ?

— J’ai vu son cadavre.

— Ah ! fit-elle, saisie tout à coup d’un vague effroi qui glaça le sang dans ses veines ; et de quoi est-il mort ?