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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/896

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— Il est mort, señora, d’un coup de pistolet tiré à bout portant et qui lui a fracassé le crâne ; puis son cadavre a été jeté à la rivière ; il est là-bas, arrêté dans les roseaux et déjà à demi dévoré par les moustiques.

La comtesse baissa la tête.

Il y eut un court silence.

Ce fut la comtesse qui le rompit.

— Alors, nous sommes découverts, murmura-t-elle.

— Et peut-être suivis, ajouta le métis en hochant la tête.

— Le croyez-vous ?

— J’en répondrais presque, señora ; je me rappelle maintenant qu’hier soir, lorsque je me rendais chez vous, à l’angle de la calle Mercaderes et de la plaza Mayor, deux hommes étaient arrêtés. J’étais pressé ; je les pris pour des serenos et j’ai continué ma route.

— Il fallait vous en assurer.

— Vous avez mille fois raison, señora, répondit-il avec dépit, mais je n’y ai pas songé ; je me croyais si bien certain d’avoir réussi à dépister tous les espions, que sur le moment il m’a semblé inutile…

— Vous avez eu tort, Marcos, reprit-elle avec animation ; vous le reconnaissez à présent, et trop tard, comme toujours. Dans notre situation, vous devriez vous en souvenir pourtant, aucune précaution ne peut être négligée ; car une seconde d’oubli suffit pour nous perdre ; il nous faut être incessamment sur nos gardes ; nos ennemis sont puissants et adroits, ils peuvent tout ; ce sont ces deux hommes qui ont fait le coup.

— Je le jurerais, señora.

— Marcos Praya, je vous le répète, prenez-y bien garde, répondit la comtesse de Casa-Real d’un ton de menace, ces négligences finiront par nous perdre ; nous jouons, vous le savez comme moi, une partie mortelle en ce moment ; souvenez-vous de la ferme des environs du Havre ; n’est-ce pas par votre faute aussi que le comte de Warrens, que nous tenions pieds et poings liés en notre pouvoir, nous est échappé !

— Je le confesse, señora, répondit le métis avec humilité.

— Je vous ai pardonné, ne parlons donc plus de cette affaire, reprit-elle avec emportement ; mais, Santos, je vous le répète encore, Marcos Praya, ne retombez plus dans une faute semblable, Dios ! car, je vous en avertis, cette fois je serais impitoyable.

— Oh ! maintenant soyez tranquille, je veillerai, señora, je vous en fais le serment sur ma part de paradis, ajouta le métis en se signant dévotement.

— Aussitôt que le camp aura été établi pour la nuit, vous expédierez dix cavaliers choisis en batteurs d’estrade, pour nettoyer les alentours de notre position, à deux lieues à la ronde, et non seulement tous les soirs, mais encore tous les matins avant le départ ; vous ferez de même jusqu’à notre arrivée à San-Francisco ; surtout, Marcos Praya, n’y manquez pas.

— Je n’aurai garde, señora ; vous serez ponctuellement obéie, je vous le promets.

— De cette façon, les espions n’oseront sans doute pas s’approcher d’assez près pour nous reconnaître, et nous serons assurés d’atteindre la ville de