Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/905

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— Vous en parlez comme s’ils existaient, ces excellents chevaux, señor don Benito, reprit-elle avec anxiété.

— C’est qu’ils existent réellement en effet, señora.

— Comment cela ?

— Mais à deux pas d’ici, señora ; votre caballeriza, à laquelle vous ne songez pas et dont vous ne vous êtes pas servie encore, se compose d’animaux de choix, lacés par moi, un à un, dans la prairie.

— C’est vrai ! señor don Benito, fit-elle avec entraînement ; mon Dieu ! comment ai-je pu oublier cela ?

— Je me suis souvenu, moi, vous le voyez, señora.

— Et soyez convaincu que je vous en remercie du fond du cœur, señor, car je vous devrai peut-être la vie.

— Seulement, reprit-il, songez-y bien, señora, il nous faudra abandonner les wagons, c’est-à-dire les bagages.

— Qu’importent les bagages ! s’écria-t-elle vivement, c’est arriver qu’il faut avant tout, quoi qu’il en coûte.

— Et vous arriverez, señora, j’en réponds sur ma tête, ce qui cependant est l’enjeu d’un fou, répondit-il en riant. Quant aux mules, elles suivront lentement, et comme quatre hommes seulement resteront avec elles pour les conduire, les vivres et l’eau que nous possédons encore seront plus que suffisants pour leur voyage : ils nageront même dans l’abondance au lieu de souffrir, les gaillards, comme cela leur est arrivé jusqu’à présent.

— Que le ciel vous récompense de la bonne pensée que vous avez eue, señor don Benito ! Quant à moi, soyez tranquille, le danger passé, je n’oublierai point et je ne serai pas ingrate envers vous, je vous le jure.

— Je n’ai fait que remplir mon devoir, señora ; ne suis-je pas, quant à présent du moins, à votre service ?

Tout à coup, Marcos Praya qui, jusqu’à ce moment était, ainsi que nous l’avons dit plus haut, demeuré complètement étranger à la conversation, les regards fixés sur l’horizon, poussa un cri étouffé, se leva d’un bond et s’élança hors de la tente, et cela si rapidement, qu’il disparut presque aussitôt dans l’obscurité.

— Que se passe-t-il donc ? s’écria la comtesse avec surprise.

— Je l’ignore, señora, répondit l’arriero mayor ; mais, selon toutes probabilités, don Marcos Praya aura aperçu quelque chose d’extraordinaire ; désirez-vous que j’aille… ?

— Non, non, restez, restez près de moi, señor don Benito ; Marcos Praya reviendra bientôt sans doute ; alors il nous expliquera lui-même la cause de cette étrange et subite disparition, dont le motif nous échappe en ce moment.

— À vos ordres, señora.

— Combien avons-nous de chevaux dans la caballeriza ?

— Trente, señora.

— Reposés.

— Depuis huit jours, señora, ils sont campés à environ une lieue d’ici. Vous les pourriez apercevoir s’il faisait jour. Dans la prévision de ce qui arrive aujourd’hui, j’avais donné à l’avance au chef de mes arrieros les ordres