Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/906

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nécessaires, et ils ont été ponctuellement exécutés ; la caballeriza a fait en huit jours, et cela sans se fatiguer, le trajet qui nous en a coûté vingt.

— Mais alors, s’il en est ainsi, señor, nous voilà sauvés !

— Je l’espère, señora ; d’autant plus que vos serviteurs, vos deux servantes, mes six arrieros compris, vous, le señor don Marcos Praya et moi, nous ne formons en tout qu’un total de vingt-trois personnes, dont nous défalquerons ceux de nos arrieros, qui demeureront avec les mules, ce qui ne fait plus que dix-sept.

— Dix-sept, déjà si peu !… murmura la comtesse en soupirant.

— Hélas ! oui, señora, cela est malheureux ; en vingt jours, nous avons perdu dix-sept personnes ! sans compter les animaux ; qui sait ? les survivants ne résisteraient pas deux jours encore, peut-être.

— C’est affreux ! señor don Benito, murmura-t-elle tristement. Mais comment prévenir la caballeriza ?

— Je m’en charge, señora, si vous me le permettez.

— Mais vous êtes brisé de fatigue, señor ! reprit-elle.

— Je n’ai pas besoin de me déranger, señora. Je resterai ici ; je suis convenu d’un signal avec mon chef de la manada, deux fusées ; dès qu’il les verra, il lacera les chevaux et les amènera ici en quelques minutes.

— Reposons-nous alors, señor don Benito, et un peu avant le lever du soleil vous donnerez le signal ; seulement nous lèverons le camp et nous irons retrouver la caballeriza ; les chevaux seront ainsi plus frais.

— Bon ! une fusée suffira alors.

Un bruit assez fort se fit entendre tout à coup à l’entrée du camp ; des torches nombreuses brillèrent.

La comtesse de Casa Real ouvrait déjà la bouche pour ordonner à l’arriero mayor d’aller aux renseignements, lorsque plusieurs de ces torches se rapprochèrent rapidement de la tente, et, à la lueur rougeâtre qu’elles projetaient autour d’elles, la comtesse aperçut Marcos Praya ; un autre homme étranger au camp se tenait à ses côtés et courait vivement avec lui.

En l’apercevant, la comtesse jeta une exclamation de surprise.

En cet homme elle avait reconnu le comte de Mauclerc.

M. de Mauclerc s’avança vers elle et la salua aussi respectueusement et avec autant de grâce que s’il se fût trouvé de visite dans un salon parisien.

— Vous ici, monsieur le comte ! s’écria-t-elle avec joie.

— Oui, madame la comtesse, et bien heureux de vous rencontrer, répondit-il avec un charmant sourire.

— Vous me cherchiez donc ?

— Je me rendais à Sonora, madame la comtesse, tout exprès pour avoir l’honneur de m’entretenir avec vous de choses fort importantes, lorsque le hasard, ou plutôt ma bonne étoile, m’a fait donner, à environ une demi-lieue d’ici, il y a de cela quelques heures à peine, dans un campement de chevaux de relais qui vous appartiennent, à ce qu’il paraît ; les conducteurs de ces chevaux m’ont renseigné, et me voici, madame la comtesse, tout à vos ordres.

— Asseyez-vous là, près de moi, je vous en prie, monsieur le comte. Désirez-vous prendre quelque chose pour vous rafraîchir ?