Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/907

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— Mille grâces, madame la comtesse ; les braves gens que j’ai quittés, il y a un quart d’heure à peine, m’ont invité à partager leur repas, et ma foi, comme je mourais littéralement de faim, je vous avoue que j’ai accepté.

— Bon, je n’insiste pas, mais vous m’avez dit avoir à me parler de choses importantes. Quoi de nouveau, comte ?

— Tout, madame la comtesse. J’ai enfin, grâce à Dieu, retrouvé nos ennemis, sans qu’il en manque un seul, répondit-il avec un mauvais sourire et redevenant subitement sérieux. Ce n’est pas sans peine, à la vérité, mais je vous promets que cette fois, par exemple, si nous ne les capturons pas dans un immense coup de filet, ce sera notre faute, car je vous certifie que nos précautions sont prises, et bien prises.

— Merci pour la bonne nouvelle, comte ! Vous êtes toujours le meilleur de mes amis. Maintenant veuillez, je vous prie, me renseigner, me donner des détails ; vous comprenez, n’est-ce pas ? que j’ai hâte de savoir…

Mais s’interrompant tout à coup et se tournant vivement vers l’arriero :

— Señor don Benito, allez donc voir un peu, je vous prie, ce qui se passe dans le campement, lui dit-elle en souriant ; je ne sais quel singulier remue-ménage fait en ce moment Marcos Praya là-bas, au lieu de laisser nos gens se reposer.

L’arriero mayor se leva.

— Ne vous dérangez pas, señor, c’est inutile, dit courtoisement le comte de Mauclerc à don Benito, puis, s’adressant avec un fin sourire à Mme de Casa-Real : votre mayrordomo, madame la comtesse, est tout simplement en train de lever le camp.

— Lever le camp à cette heure ? Plaisantez-vous, comte ?

— Pas le moins du monde, je vous le jure, madame.

— Mais pour quel motif si sérieux ce départ précipité ? À peine sommes-nous campés ici depuis trois heures.

— Excusez-moi, madame la comtesse, mais c’est moi qui me suis permis de conseiller cette mesure à votre majordome. Les braves gens de là-bas, qui semblent, ma foi, être dans de très bons termes avec ces démons de Peaux-Rouges, m’ont averti en particulier qu’un parti considérable de guerriers indiens, qui rôde depuis plusieurs jours autour de votre caravane, a l’intention de vous attaquer à l’improviste cette nuit même, un peu avant le lever du soleil.

— Mon Dieu ! s’écria la comtesse avec terreur, il serait vrai !

— Je le crains réellement, comtesse, répondit M. de Mauclerc ; ces braves gens dont je vous parle semblent tenir ce renseignement de source certaine ; ils m’ont assuré que ces féroces Indiens étaient des guerriers sioux, commandés par un chef très célèbre nommé l’Épervier, qui est, par parenthèse, le plus redoutable pillard des prairies, d’ici à la Sierra Nevada.

— Mais nous sommes perdus, mon cher comte, si cela est ainsi ! s’écria la créole tout effarée.

— Ce que je vous annonce est positif, comtesse, je suis accouru ici en toute hâte pour vous instruire du danger suspendu sur votre tête et sur celles de vos compagnons, mais rassurez-vous, nous sommes sauvés, au contraire.