Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/911

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choisis pour retourner à Sonora, entrait-il au contraire ce jour-là à San-Francisco, à la tête de toute sa troupe ?

Deux raisons très simples, mais péremptoires, avaient engagé le comte à modifier ainsi sa détermination.

Ces deux raisons, nous allons à l’instant même les faire connaître, mais pour cela il nous faut faire quelques pas en arrière.

Une heure environ après l’arrivée du comte sur le placer, à la tête de la caravane, un Californien, monté sur un mustang vif comme le vent, était entré dans le camp.

Ce Californien était expédié par Edmée de l’Estang au comte.

C’était un des arrieros de la caballeriza.

La jeune fille avait remis une lettre à cet homme, et lui avait donné dix onces.

C’est-à-dire une fortune pour le pauvre diable, une once équivalant à quatre-vingt-cinq francs de France.

Puis la jeune fille lui avait ordonné de ne remettre cette lettre qu’entre les mains de M. de Warrens.

L’arriero avait obéi consciencieusement.

Il avait loyalement gagné son argent, car il venait de faire près de cinquante lieues en deux jours : il était brisé de fatigue, mais, grâce à sa diligence, il arrivait à temps ; une heure de plus, il aurait été trop tard.

Edmée racontait au comte tout ce qui s’était passé depuis qu’elle l’avait quitté à Sonora sans l’avertir, et elle lui donnait rendez-vous à San-Francisco, où elle comptait arriver sous peu de jours.

Le comte, après avoir lu la lettre dix fois et l’avoir baisée plus de deux cents, la cacha dans sa poitrine ; puis, ayant généreusement récompensé le messager de bonnes nouvelles, qui fut payé ainsi des deux côtés et ne s’en plaignit pas, il l’envoya se coucher, après l’avoir interrogé pendant au moins une heure.

L’arriero se retira en marchant d’un pas de somnambule.

Le brave garçon dormait littéralement tout debout.

On soupa gaiement et l’on porta maints toasts à la jeune fille, la gracieuse Étoile-du-Matin, ainsi qu’on la nommait depuis que l’Épervier, le grand chef sioux, lui avait donné ce gracieux et poétique surnom.

Après souper, on causa.

Les nouvelles apportées par M. le baron de San-Lucar étaient graves, tellement graves même, que le capitaine redevint aussitôt sombre et sérieux, donna l’ordre que le lendemain, au lever du soleil, le camp fût levé et que tout le monde, sans exception, fût prêt à partir pour la ville de San-Francisco.

Et comme le capitaine supposa qu’il n’aurait pas trop de tous ses hommes pour tenir tête aux événements qui se préparaient, et que d’ailleurs les aventuriers étaient assez riches, le camp fut définitivement détruit, les outils et les engins de toutes sortes vendus aux mineurs du voisinage et le placer abandonné à qui voudrait le prendre.

Le fait était que la quantité d’or qu’ils avaient recueillie pendant ces quelques mois d’un travail incessant et bien dirigé était incalculable ; et