Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/912

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lorsque les Compagnons de la Lune se disaient entre eux en riant qu’ils étaient tous millionnaires, ils disaient la vérité sans s’en douter, ainsi que cela arrive souvent.

Nous devons constater tout d’abord que les deux tiers de ces richesses demeuraient en dépôt sous la surveillance de la vente suprême, entre les mains du comte de Warrens, pour les besoins de l’association ; mais le tiers qui restait suffisait amplement pour, assurer une très belle fortune à chacun des affiliés qui avaient travaillé à l’exploitation du placer.

Voilà pour quelles raisons le comte de Warrens était revenu à San-Francisco, et, sans le savoir, n’y précédait que de quelques heures seulement son implacable ennemie, la comtesse Hermosa de Casa-Real.

Nous expliquerons maintenant, le plus brièvement que cela nous sera possible, la situation dans laquelle se trouvait en ce moment la nouvelle ville, et quels étaient les événements qui se préparaient : événements que le comte de Warrens avait jugés assez graves pour y apporter le concours dévoué de toutes ses forces.

Ces renseignements fort curieux et qui du reste ne sortent pas de notre sujet et n’entravent en rien notre action, dont le dénouement s’approche, intéresseront probablement le lecteur, en lui faisant connaître par quelles phases étranges, quelles singulières métamorphoses, cette ville, si promptement peuplée, fut contrainte de passer avant que d’atteindre le degré de splendeur où elle est enfin parvenue aujourd’hui, grâce à la courageuse intelligence de ses principaux habitants.

Ainsi que nous l’avons déjà dit plus haut, les regulators, ces bandits, les hounds, enhardis par l’impunité dont ils jouissaient, n’avaient pas tardé à se considérer comme les seuls et véritables maîtres de la ville et à se conduire en conséquence.

Nous citerons à ce sujet ce que rapporte un homme d’une haute capacité, et qui fut le témoin oculaire des faits.

Par cet extrait, dont l’authenticité ne saurait être mise en doute par personne, le lecteur sera plus à même de se rendre compte exactement de l’état de démoralisation complète dans lequel était tombée dès le commencement de sa croissance la malheureuse ville de San-Francisco, menacée jusque dans son existence par l’odieuse tyrannie-de ces brigands.

« Le 15 juillet, c’est M. Ernest Frignet qui parle[1], les regulators revenaient en bande de piller, de l’autre côté de la baie, le camp de Contra-Costa, lorsque, sur la proposition faite à l’improviste de quelques-uns d’entre eux, ils changèrent de direction et se portèrent sur le quartier espagnol, qu’ils attaquèrent aussitôt au nom des Américains, dont ils voulaient, disaient-ils, venger les griefs.

« La résistance fut vive.

« La lutte se prolongea pendant une grande partie de la nuit.

  1. Histoire des Progrès de l’un des États-Unis d’Amérique, Californie.