Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/914

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d’ici, nous en avons la conviction, l’anglais, déjà si profondément altéré aux États-Unis, sera remplacé par une langue nouvelle qui surgira toute faite des milliers de dialectes qui sont aujourd’hui parlés dans cette contrée étrange.

Ils avaient appelé à eux tous les desperadoes, ou déshérités et déclassés du monde entier, qui, à la nouvelle de la découverte de l’or, s’étaient rués sur la ville de San-Francisco comme sur une curée ; de plus, le malheur voulut qu’il arrivât sur ces entrefaites un nombre assez considérable de convicts ou forçats, les uns échappés des pénitenciers d’Australie, les autres partis de Sydney avec leur ticket of leave, c’est-à-dire graciés.

Tous ces misérables se rendaient en Californie, dans le but hautement déclaré par eux de recommencer sur ce terrain nouveau leurs odieux exploits !

Une entente entière fut bientôt établie entre eux et les anciens regulators.

Une association ténébreuse se forma aussitôt entre ces brigands et s’organisa d’une façon d’autant plus formidable et plus terrible pour la partie saine de la population que les bandits, instruits par l’expérience, modifièrent complètement leur ligne de conduite, et, au lieu d’étaler leur cynisme au grand jour et de braver les honnêtes gens en face, agirent au contraire avec la plus extrême prudence et n’usèrent en toutes circonstances que de manœuvres secrètes et mystérieuses.

Alors, le meurtre, le vol, tous les crimes enfin, recommencèrent sur tous les points à désoler la malheureuse ville ; l’incendie s’y joignit, le fléau le plus terrible et le plus redouté dans un pays où toutes les constructions faites à la hâte et seulement provisoires étaient alors en bois ou même seulement en toile goudronnée.

Les choses prirent en peu de temps des proportions tellement alarmantes, que les honnêtes gens recommencèrent à trembler sérieusement pour leur existence, et n’écoutant plus que leur désespoir résolurent de sortir à tout prix de cette situation affreuse.

Une quinzaine de jours s’étaient écoulés déjà depuis le retour du comte de Warrens au port de San-Francisco.

Pendant ces quinze jours, il avait essayé vainement d’obtenir des nouvelles d’Edmée de l’Estang, qui, elle, lui aurait révélé sans doute où se trouvait la comtesse de Casa-Real, mais malheureusement toutes ses recherches étaient demeurées jusque-là infructueuses.

L’inquiétude du comte de Warrens était grande sur le sert de la jeune fille, dont il attribuait, dans sa pensée, le silence à des motifs de la nature la plus terrible.

Il ne se dissimulait pas que sa fiancée s’était, avec l’étourderie de la jeunesse et l’entraînement de la passion, engagée imprudemment dans une lutte sourde et acharnée, où elle devait à chaque instant courir des dangers affreux, contre des gens impitoyables, qui, dans aucun cas, s’ils découvraient qui elle était, ne reculeraient devant un crime si horrible qu’il fût pour assurer le secret de leur vengeance.

L’impossibilité complète dans laquelle le comte de Warrens se trouvait malheureusement réduit, de tenter la moindre démarche pour porter secours à celle qu’il aimait, ajoutait encore, s’il est possible, à son désespoir.