Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/915

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En effet, quel moyen employer ?

Quelles mesures prendre ?

Il ignorait même, malgré tous les espions qu’il avait lancés à sa recherche, si la jeune fille était parvenue à gagner San-Francisco, ou si, après avoir été reconnue, elle n’avait pas succombé, victime de son dévouement.

Pour comble de malheur, la ville était alors de nouveau depuis plusieurs jours littéralement retombée au pouvoir des bandits, qui, comptant sur leur nombre, relevaient audacieusement la tête de tous les côtés et faisaient la loi aux honnêtes gens tremblants de terreur.

Une démarche indiscrète ou mal calculée pouvait non seulement compromettre le comte, ce dont au reste il avait personnellement peu de souci, mais encore perdre celle qu’il voulait sauver et causer sa mort, si en effet elle était au pouvoir de ses ennemis.

Cette perplexité était affreuse.

Un jour M. le comte de Warrens, retiré dans sa chambre à coucher, était assis triste et sombre, les coudes sur une table et la tête dans ses mains.

C’était le soir, le temps était à l’orage ; subissant malgré lui l’influence magnétique de la température, il se laissait tristement aller aux plus douloureuses pensées, lorsque la porte de la chambre s’ouvrit avec précaution, et Mouchette entra doucement.

Le comte, depuis qu’il le connaissait, avait pris le gamin en grande amitié.

Pendant sa longue traversée du Havre à Monte-Rey, il s’était plu à développer l’intelligence de cet enfant et à lui donner les principes d’une éducation que, depuis leur débarquement, il avait continuée, autant que cela lui avait été possible, et dont le gamin, disons-le à sa louange, avait profité avec une rapidité qui faisait l’admiration de tous ses amis.

M. de Warrens avait attaché l’enfant à sa personne, non point comme un serviteur vulgaire, mais comme un pupille, afin de l’avoir toujours près de lui.

Il va sans dire que de son côté Mouchette adorait son protecteur.

Au bruit de la porte ouverte et refermée, le comte avait relevé la tête :

— Que me veux-tu, cher enfant ? lui demanda-t-il d’une voix douce.

— Vous remettre une lettre. Excusez-moi, monsieur le comte.

— Une lettre, de quelle part ?

— Je ne sais pas, monsieur le comte ; tout à l’heure, un homme que je ne connais pas est entré dans la cour où je me trouvais par hasard, me l’a mise dans la main en me disant : Pour Master-Key, tout de suite, il y a urgence ; puis, avant que j’aie eu le temps de lui répondre, il a tourné les talons et a disparu.

— C’est étrange, dit le comte ; donne cette lettre.

Mouchette la lui présenta.

— La voici, dit-il.

M. de Warrens étouffa avec peine un cri de joie : en lisant l’adresse, il avait réconnu l’écriture d’Edmée.

Il ouvrit la lettre d’une main tremblante et il la parcourut avidement des yeux avec une agitation fébrile.

Ses sourcils se froncèrent :