Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/922

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le buste cambré, la tête fièrement rejetée en arrière, le manteau repoussé derrière les épaules, les bras croisés sur la poitrine, les sourcils froncés et le front hautain.

Il y eut un silence de deux ou trois minutes, un siècle en pareille circonstance !

La comtesse de Casa-Real se décida enfin à engager l’attaque.

— Ce n’est pas moi, sans doute, que vous espériez rencontrer dans cette chambre, n’est-ce pas, monsieur le comte ? lui dit-elle d’une voix sèche et railleuse.

— Vous m’excuserez, madame la comtesse, répondit-il d’une voix brève et incisive, je ne reconnais pas à cette interrogation votre perspicacité ordinaire, j’en étais parfaitement certain, au contraire, et vous voyez, ajouta-t-il en baissant les yeux d’un air significatif sur sa ceinture garnie de pistolets, que je m’étais préparé en conséquence ; depuis longtemps je connais vos rendez-vous d’amour et de quelle manière il convient de s’y rendre.

— Monsieur ! s’écria-t-elle.

— Vous aurais-je offensée, madame la comtesse ? reprit-il toujours railleur.

La comtesse Hermosa se mordit les lèvres ; elle sourit avec dédain.

— M’offenser ! vous ? Oh non ! mais vous mentez, monsieur !

— Non, madame la comtesse, pas le moins du monde, je dis vrai ; en effet, quelle autre personne que vous pouvais-je espérer rencontrer dans un pareil bouge ?

— Monsieur ! s’écria-t-elle, mordue au cœur par cette rude riposte.

— N’y êtes-vous pas ? reprit-il en haussant les épaules.

— Soit ! vous avez raison, monsieur le comte. J’y suis, en effet, reprit-elle avec un rire amer ; mais celle qui vous a assigné ce rendez-vous ne s’y trouve pas, elle.

— Attention délicate que j’apprécie, comme je le dois, croyez-le bien, et dont j’aurai sans doute à vous remercier avant qu’il soit longtemps, madame la comtesse.

— Peut-être, monsieur le comte, répondit-elle avec ironie.

— Eh bien ! c’est ce que nous allons voir tout de suite, reprit-il en faisant résolument deux pas vers le sopha ; car vous allez me dire où se trouve en ce moment cette personne, n’est-ce pas, madame la comtesse ?

— Pardonnez-moi, monsieur le comte de Warrens, mais je ne vous ai pas fait venir ici pour m’entretenir de cette fille, répondit-elle avec un dédaigneux mépris.

— Ce mot dans votre bouche, madame, n’a rien de blessant pour la personne dont vous parlez, et dont l’honneur est tellement pur, que vos insultes ne sauraient l’atteindre, quoi que vous puissiez dire contre lui.

— Brisons là, reprit-elle durement, et venons, s’il vous plaît, monsieur le comte, au sujet de cette entrevue.

— Je n’ai consenti à venir vous relancer jusque dans votre antre, madame, que pour y chercher la jeune fille que vous avez enlevée, je ne sais comment, et dont vous voulez sans doute faire votre victime.