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Le comte de Warrens n’eut ni une seconde d’hésitation, ni la moindre faiblesse ; il continua rapidement sa route et s’engagea résolument dans cet épouvantable chaos, où toutes les passions mauvaises étaient en ébullition.

En quelques minutes il atteignit le bar-room qui lui était désigné dans la lettre qu’il avait reçue ; et, après s’être assuré qu’il ne se trompait pas, il releva fièrement la tête, sans s’arrêter une seconde seulement, et franchit d’un pas ferme le seuil de ce bouge immonde.

Il passa sans encombre à travers la foule pressée et grouillante des buveurs avinés, dont pas un ne sembla remarquer sa présence, sortit de la salle par une porte de côté, pénétra dans une cour sombre et boueuse, la traversa presque à tâtons, poussa une porte entr’ouverte, suivit d’un pas ferme un corridor sur le mur duquel était accrochée une lampe qui répandait plus de fumée que de clarté, et s’arrêta enfin devant une seconde porte dont il tourna le bouton ; alors il se trouva dans une chambre assez modestement meublée, éclairée par une lampe dont le verre dépoli ne projetait qu’une faible lumière.

Une femme, assise ou plutôt à demi couchée sur un sopha, placé au fond de cette pièce, la tête couverte par une mantille de dentelle noire, se tourna vers lui, et à son entrée, se redressant vivement en même temps qu’elle laissait tomber son voile sur ses blanches épaules :

— Soyez le bienvenu, monsieur le comte, lui dit-elle d’une voix railleuse.

Au même instant, le capitaine entendit qu’on verrouillait en dehors la porte par laquelle il avait pénétré dans cette pièce.

Le comte de Warrens feignit de ne rien entendre et conserva le plus grand calme ; son visage demeura impassible, il sourit de son air le plus aimable et salua respectueusement, silencieusement, la personne devant laquelle il se trouvait.

Du premier coup d’œil il avait reconnu la comtesse de Casa-Real.

Il comprit aussitôt la machination dont sa loyauté l’avait rendu victime et il fut intérieurement satisfait de voir justifiés les soupçons qu’il avait tout d’abord conçus et il se prépara vaillamment à la lutte.


XIV

UN RENDEZ-VOUS D’AMOUR À SAN-FRANCISCO

Les deux mortels ennemis se trouvaient encore une fois en présence.

Mais il n’y eut manifestation de surprise ni d’un côté ni de l’autre.

La comtesse Hermosa de Casa-Real, à demi étendue sur le sopha, le coude posant sur un coussin, le corps penché en avant, les lèvres entr’ouvertes, laissant voir ses dents de perles, ses mains crispées sur le velours du meuble, semblait une lionne qui guette.

Le comte de Warrens, pâle, mais calme, se tenait immobile au milieu de la pièce.