Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/924

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dit-il tranquillement, sans cependant cesser de la tenir sous la menace de son revolver ; une seconde de plus, et tout était fini. Voulez-vous maintenant avoir l’obligeance de répondre à la question que j’ai eu l’honneur de vous adresser ?

— Répétez-la, monsieur, fit-elle d’une voix frémissante.

— Consentez-vous, oui ou non, à me rendre la jeune fille dont vous vous êtes emparée et à la remettre à l’instant entre mes mains, madame la comtesse ?

— Non, c’est impossible, répondit-elle nettement.

— Prenez-y garde, madame ! je ne menace jamais en vain, vous le savez. Où se trouve cette jeune fille ?

— Oh ! cela, je vous le dirai ! s’écria-t-elle d’une voix sifflante.

— J’attends, madame.

En ce moment, un bruit assez fort se fit entendre au dehors ; la comtesse pencha légèrement le corps en avant et sembla prêter l’oreille ; puis, au bout d’une seconde, un mauvais sourire passa sur son visage.

Le capitaine, dont tous les sens étaient mis en éveil, devina aussitôt que ce bruit inconnu était sans aucun doute une nouvelle menace, un nouveau danger qui l’allait assaillir ; peut-être un renfort qui arrivait encore à ses ennemis, si nombreux déjà cependant.

La résolution fut prise en une seconde.

Il bondit à l’improviste sur la comtesse de Casa-Real, l’enleva par la ceinture, la jeta sur son épaule, et à reculons il se réfugia dans l’angle le plus éloigné de la pièce, tout en ayant la précaution de se servir du canapé et d’une table comme barricade.

Ce mouvement avait été exécuté avec tant d’adresse, de vigueur et de célérité, que les bandits, surpris à l’improviste, n’eurent pas le temps d’essayer de s’y opposer.

Lorsque, remis de leur surprise, ils voulurent s’élancer au secours de leur maîtresse, il était trop tard !

Le comte de Warrens maintenait Mme de Casa-Real droite devant lui pour lui servir de bouclier, et il lui appuyait froidement un revolver sur la tempe.

— Arrêtez, ou elle est morte ! cria-t-il d’une voix tonnante.

Les bandits s’arrêtèrent.

La comtesse râlait d’épouvante.

Ses dents claquaient à se briser ; elle était livide comme un cadavre.

— Cruelle et lâche, dit-il en haussant les épaules avec mépris, la nature de la hyène, c’est bien cela ! Ah ! madame de Casa-Real, ajouta-t-il avec menace, vous avez voulu tendre un piège au lion ! Eh bien ! soyez satisfaite, vous avez réussi, il y est tombé ! Mais, vive Dieu ! tremblez maintenant, car il sera sans pitié pour vous, comme vous avez été sans pitié pour les autres.

— Grâce ! murmura-t-elle, sans même savoir ce qu’elle disait.

— Grâce ! reprit-il d’un ton sardonique. Comment dites-vous ce mot-là, s’il vous plaît, madame ? Eh quoi ! vous m’attirez dan s le quartier le plus hideux de la ville, au fond d’un bouge infâme. Vous appostez dix assassins pour me massacrer sous vos yeux, et c’est vous, vous, madame, qui me criez grâce !