Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/925

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Oh ! vous raillez ou vous êtes folle, madame ! Répondez, sur votre vie, où est cette malheureuse jeune fille ? Rendez-la-moi, et alors, je vous le jure, je vous ferai grâce, mais à cette condition seule, madame.

— Elle n’est pas ici, murmura-t-elle d’une voix éteinte.

— Vous le jurez ?

— Sur mon salut éternel !

Le comte éclata d’un rire amer :

— Votre salut éternel ! Est-ce que je crois à vos serments, moi, madame ?

— Que voulez-vous alors ?

— Répondez nettement.

— Interrogez.

— Où est-elle ?

— Entre les mains du comte de Mauclerc.

— Entre les mains du comte de Mauclerc ! Infamie !

— Il y a deux jours, reprit la comtesse, à qui la terreur rendait la voix, et qui parlait comme dans un rêve, c’était le soir, vers onze heures, au moment de me retirer pour la nuit, je découvris tout à coup que cette jeune fille me trahissait. Jusque-là je l’avais prise pour un jeune garçon, elle m’avait rendu un grand service, elle semblait m’être dévouée, je l’aimais, j’avais toute confiance en elle.

— Mensonge ! lâcheté !…

— Oh ! je dis vrai.

— Hâtez-vous ! hâtez-vous ! Mauclerc !… Oh ! misérable femme !

Les assassins étaient toujours immobiles au fond de la salle.

Tout scélérats et bandits émérites qu’ils fussent, ces hommes se sentaient, malgré eux, saisis d’admiration pour cet homme, si brave, qui les avait domptés par la seule puissance d’une volonté énergique.

Mais le comte n’avait nullement confiance en de pareils misérables ; tout en interrogeant la comtesse, il les surveillait attentivement et les tenait sous son regard.

Scène étrange et terrible que celle qui se jouait en ce moment dans cette salle à demi obscure entre ces personnages dont les passions étaient excitées au plus haut degré, et qui tous comprenaient instinctivement qu’une horrible catastrophe était prochaine.

Au dehors, la tempête continuait toujours à faire rage.

Le bruit que la comtesse avait entendu un instant auparavant et qui avait presque cessé pendant quelques minutes avait recommencé : il croissait de plus en plus et se rapprochait rapidement.

La comtesse reprit :

— Le soir dont je parle, j’avais un ordre pressé à lui donner, j’entrai dans, sa chambre ; il était tard, elle dormait ; je la reconnus alors pour une femme ; je devinai qui elle était, elle avait quitté son déguisement. Déjà une fois, vous vous en souvenez, elle avait essayé de vous enlever de mes mains ; la pensée d’une seconde trahison traversa mon cerveau.

— Une trahison ! dit le comte.

— Ne me trahissait-elle pas ? Répondez à votre tour.