Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/927

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— Non, dit-il, vous vous trompez, madame, elle n’eut pas peur, car c’est une grande et loyale nature. Mais elle comprit que je viendrais et qu’elle serait vengée ! Et elle le sera, je vous le jure. Continuez.

— Quelques minutes à peine avant votre arrivée ici, je l’ai livrée à Marcos Praya et au comte de Mauclerc.

La comtesse s’arrêta.

— Parlez, madame ! reprit le comte d’une voix haletante.

— J’ai peur ! oh ! j’ai peur ! murmura la comtesse, qui frissonnait et cachait sa tête dans ses mains tremblantes.

Il l’obligea à se redresser.

— Je veux tout savoir, dit-il avec un accent terrible.

— Non ! non ! c’est impossible !

Elle sentit le froid du canon du revolver sur sa tempe.

— Non ! non ! s’écria-t-elle… Au secours !… À moi !

— Parlez… et songez-y… Le premier geste agressif de ces hommes vous tue.

— Ôtez cela ! ôtez cela…, et je parlerai…, oui…, je vous le promets…

Le comte éloigna le revolver.

— Pourquoi avez-vous livré cette jeune fille à ces deux hommes, madame ?

Elle sembla hésiter un instant.

Le comte fit un geste.

— Eh bien ! soit, je dirai tout ! s’écria-t-elle avec une volubilité étrange, comme si elle avait hâte d’en finir, hier je me suis abouchée avec un chef indien dont la troupe campe à quatre ou cinq lieues d’ici ! Je lui ai vendu cette femme ; le comte de Mauclerc et Marcos Praya ont été chargés de la lui livrer.

La comtesse de Casa-Real s’attendait sans doute à un éclat terrible après avoir achevé cette horrible révélation.

Il n’en fut rien.

Le comte de Warrens connaissait trop bien et depuis trop longtemps les mœurs des Indiens pour ne pas avoir la conviction que, provisoirement du moins, la jeune fille n’avait rien à redouter de leur part et qu’elle était au contraire en sûreté parmi eux.

Les Peaux-Rouges, à moins de circonstances extraordinaires et exceptionnelles, respectent généralement les femmes.

Il y eut un instant de silence.

— Et l’homme qui accompagnait cette jeune femme, vous ne m’en avez pas parlé, madame, qu’en avez-vous fait ?

— Je ne vous comprends pas, monsieur.

Mlle Edmée de l’Estang, car peu importe à présent que vous appreniez son nom, avait un serviteur avec elle ; ce serviteur, qu’est-il devenu ?

— Ah ! s’écria-t-elle avec un mouvement de rage, cet homme, qui se faisait passer pour son frère, ce Pacheco, je comprends tout maintenant, il s’est enfui, le misérable !

Il n’y avait pas à se tromper sur l’accent de sincérité de la comtesse : cette fois encore, elle disait vrai.

Yann avait réussi à lui échapper.