Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/928

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Le visage du comte de Warrens sembla se rasséréner.

— Tout n’est pas perdu, peut-être ! murmura-t-il à part lui ; et, s’adressant à la comtesse toujours agenouillée : Vous allez me conduire à l’instant même auprès de ce chef indien, madame, lui dit-il froidement.

— Moi ! s’écria-t-elle avec épouvante… Non…, non…, monsieur…, n’exigez pas cela de moi au nom du ciel !

— À l’instant même, je vous le répète, madame la comtesse, répondit-il en haussant les épaules avec dédain.

— Oh !… à cette heure de nuit, par cet orage effrayant, c’est impossible ; ayez pitié de moi, monsieur !

— Je le veux ; et pour que vos assassins ne tentent pas de s’opposer à notre départ, ordonnez-leur de sortir.

— Et vous me ferez grâce ! s’écria-t-elle avec anxiété.

— Peut-être, madame, répondit-il d’une voix profonde.

La comtesse était vaincue, brisée ; elle n’essaya pas de soutenir plus longtemps une lutte impossible.

Elle fit un geste.

Les bandits se dirigèrent silencieusement vers la porte.

Tout à coup, avant même que les bandits l’eussent atteinte, cette porte s’ouvrit avec fracas et un homme s’élança dans la chambre, pâle, défait, ensanglanté, les habits en lambeaux, effaré, à demi fou de terreur.

— Nous sommes perdus, madame ! s’écria-t-il avec égarement ; le comité de vigilance nous a surpris à l’improviste, il cerne le quartier, le peuple est soulevé, il nous attaque de tous les côtés à la fois.

En entendant ces paroles, les bandits s’échappèrent aussitôt par toutes les issues en poussant des hurlements d’épouvante.

Le comte de Warrens bondit par-dessus son rempart improvisé en repoussant violemment la créole, qui perdit l’équilibre et recula en trébuchant jusqu’à la muraille, contre laquelle elle s’appuya haletante et il se précipita à l’improviste sur le métis.

De son poignet de fer le capitaine saisit le misérable à la gorge.

Celui-ci, qui ne s’attendait pas à cette brusque attaque, eut beau résister, son agresseur le renversa brisé sur le sol, et lui posant le genou sur la poitrine :

— Marcos Praya, lui cria-t-il d’un accent terrible…, la jeune fille que t’a livrée cette femme…, qu’en as-tu fait ?… Réponds, misérable, réponds, ou tu es mort.

Et il lui appuya un revolver sur la tempe.